Le dernier film en date de Thierry de Peretti risque de faire parler de lui.

Délaissant la Corse pour un temps – il y reviendra pour son prochain long-métrage –, le cinéaste ajaccien relate, avec Enquête sur un scandale d’État, une affaire qui fit couler beaucoup d’encre en 2015, lorsque des agents des douanes découvrirent sept tonnes de cannabis dans des camionnettes stationnées au pied du domicile parisien de Sofiane Hambli, l’un des plus gros trafiquants de drogue des vingt dernières années. L’enquête révéla rapidement que ce dernier était en vérité l’indic de François Thierry, patron de l’Office des stups ; lequel avait pour habitude de fermer les yeux sur son business en échange d’informations lui permettant de démanteler d’autres filières – on estime ainsi à 250 environ le nombre de réseaux mis hors circuit grâce à leur coopération.

Très classique a priori, cette relation entre un voyou et un policier se distingua nettement du schéma traditionnel par les moyens employés par les forces de l’ordre. Il arriva, en effet, que des agents soient mobilisés aux côtés des narcotrafiquants pour sécuriser le transit de plusieurs tonnes de drogue entre le Maroc et la Costa del Sol. Un scandale que dénonça, dans Libération, Hubert Avoine, un agent infiltré, impliqué personnellement dans ces opérations, qui raconta en détails, avec le journaliste Emmanuel Fansten, les méthodes de son ancien supérieur hiérarchique. Les deux hommes écrivirent par la suite un livre sur cette affaire, intitulé L’Infiltré et paru en 2017.

S’inspirant notamment de cet ouvrage, Thierry de Peretti choisit contre toute attente de placer au centre du récit la relation complexe qui unit l’agent infiltré et le journaliste, teintée de déférence, d’amitié, mais aussi de défiance… Car si le courage d’Hubert ne fait aucun doute, compte tenu des risques auxquels il s’expose, son témoignage n’est pas exempt de fausses notes, d’approximations. Si bien que le spectateur, par le biais du journaliste, s’interroge du début à la fin sur la probité de ce personnage hâbleur et sanguin (Roschdy Zem, impeccable) aux motivations troubles. Sur ce dernier point, l’issue du récit nous apporte bien quelques éléments de réponse mais l’incertitude demeure. Idem pour le patron des stups qui, à l’issue de son procès, reste insaisissable. Bien malin qui peut dire si le personnage est de bonne foi, intègre ou foncièrement corrompu. C’est là toute la force du film : rien n’est clairement établi, le spectateur reste dans un entre-deux, contraint d’accorder le bénéfice du doute aux uns et aux autres, chacun ayant des arguments rationnels et défendables.

Les explications géopolitiques impliquant l’ETA, les GAL et la police française ont parfois tendance à nous perdre mais cette opacité, paradoxalement, consolide le propos de Peretti sur l’ambiguïté de l’affaire et nourrit l’ensemble.

Le réalisateur, afin d’être inattaquable, a pris soin de modifier les noms des protagonistes et de signaler par un intertitre le caractère fictionnel de cette histoire. Pourtant, force est d’admettre la rigueur des faits rapportés, Thierry de Peretti ayant évité toute fantaisie romanesque.

Lorsque nous l’avions découvert en 2013, avec Les Apaches, le cinéaste faisait montre déjà d’un goût certain pour le naturalisme et d’un sens peu commun de la mise en scène, adaptant le filmage des frères Dardenne, ou du Haneke des premiers temps, au genre policier, avec une direction d’acteurs qui n’était pas sans rappeler celle de Maurice Pialat. Une intuition artistique qui s’avéra payante. Son style, reconnaissable automatiquement avec ses plans longs et fixes, ses montages épurés et la justesse de ses répliques, bouleversait purement et simplement les codes du polar. Son chef-d’œuvre Une vie violente (voir notre article) transformait l’essai des Apaches et asseyait pour de bon cette figure montante du cinéma français. Enquête sur un scandale d’État creuse encore davantage le sillon et nous prouve que Thierry de Peretti sait aussi embrasser des thématiques nationales.

 

5 étoiles sur 5

 

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18 février 2022 à 14:00

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2 commentaires

  1. la limite est parfois plus fine qu’un papier de cigarette, entre « certains policiers » et les trafiquants de toutes sortes.

  2. L’infiltration est une méthode ancienne et efficace. De nombreuses affaires ont été démêlées grâce à cette pratique. C’est le résultat qui doit compter.

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