Dans l’imaginaire collectif, Rocky Balboa est le plus grand boxeur de l’histoire du cinéma, le héros populaire des quartiers pauvres de Philadelphie campé, pour la première fois, par Sylvester Stallone en 1976. Un personnage au grand cœur, aussi limité intellectuellement que redoutable sur le ring, prêt à surmonter tous les obstacles par amour pour Adrian, sa tendre moitié.

Écrit par le comédien principal, qui commençait sa carrière au cinéma, le scénario fut vendu au producteur Irwin Winkler, qui récupéra tous ses droits et exploita le filon au maximum… Ainsi, Rocky, petit film intimiste tourné en 28 jours seulement pour moins d’un million de dollars, magnifié par le célèbre morceau musical de Bill Conti, « Gonna Fly Now », devint une grosse saga hollywoodienne lucrative cumulant les suites de qualité inégale : le troisième volet fut tout simplement mauvais, tape-à-l’œil, quand le quatrième se réduisit à une œuvre de propagande grossière contre la Russie soviétique. Le cinquième film tenta tardivement, sans grand succès, de redresser la barre, de revenir à l’esprit originel, mais c’est avec le sixième, sobrement intitulé Rocky Balboa et sorti en 2006, que la franchise obtint enfin une conclusion satisfaisante.

En 2015, cependant, toujours en quête d’argent facile, Irwin Winkler et ses enfants décidèrent de lancer une saga dérivée centrée sur le fils d’Apollo Creed, l’ancien rival et ami de Rocky Balboa, mort sur le ring dans le quatrième opus sous les coups d’Ivan Drago.

Conscients qu’un récit centré sur un gosse de riche ne soulèverait pas l’enthousiasme des foules, là où Rocky était issu des couches populaires, les scénaristes ont alors imaginé un enfant illégitime ayant grandi en famille d’accueil, histoire de rappeler au spectateur que lorsqu’on est noir, forcément, on en bave… Tel serait le fil rouge de cette nouvelle saga.

Le premier volet était plutôt bien écrit mais se résumait à du Rocky adapté aux « minorités », teinté de misérabilisme victimaire et assaisonné de frime et de hip-hop… Présent en tant que coach et passeur de flambeau, Rocky Balboa focalisait d’ailleurs toute l’attention du spectateur. Un constat cruel pour Michael B. Jordan qui incarnait sans grand relief le personnage d’Adonis Creed, le nouveau héros…

C’est pourquoi les producteurs et le jeune acteur, devenu entre-temps réalisateur, ont décidé pour le troisième volet, actuellement en salles, de se passer définitivement de Rocky Balboa, devenu trop gênant, et d’évincer Stallone du processus créatif. Lequel, en tant qu’auteur de la franchise originelle, n’a pas du tout apprécié… Désirant briller par lui-même – et cela peut s’entendre –, Michael B. Jordan parle, en entretien, d'« émancipation » et se justifie : « Désormais, nous souhaitons mettre en avant Adonis et sa famille. »

En remisant Stallone (trop populaire, trop vieux, trop blanc ?), les producteurs savent parfaitement ce qu’ils font : draguer une certaine jeunesse et jouer la carte du film 100 % communautaire et bling-bling. Tout l’imaginaire intellectuel de Creed III va dans ce sens, de l’esthétique visuelle et musicale tapageuse jusqu’au propos revanchard du film – le combat final n’étant motivé, chez le héros, que par un désir de répondre à la provoc, comme le font bêtement les rappeurs ou les racailles… L’esprit de droiture de la saga d’origine est complètement bafoué et Stallone doublement trahi.

Dans Rocky V, on s’en souvient, le héros prenait sous son aile un jeune boxeur plein d’avenir qui, influencé par des gens néfastes, se retournait à la fin contre lui pour asseoir sa légende. Rocky refusait d’entrer dans son jeu jusqu’au moment où le boxeur frappait au visage son beau-frère Paulie. Notre héros, furieux, emmenait alors le jeune ingrat dans la rue pour lui administrer une correction sévère devant une foule en liesse.

Stallone n’a pas mis de raclée à Michael B. Jordan mais a d’ores et déjà annoncé qu’il n’irait pas voir Creed III

1 étoile sur 5

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10 mars 2023 à 12:45

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2 commentaires

  1. bon résumé d’une certaine jeunesse actuelle qui va évidemment se bruler au bling bling et pas faire de vieux os dans sa violence;

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