[Cinéma] À voir : Il Boemo rend enfin justice au compositeur Josef Mysliveček

Il boemo

Le récit s’ouvre sur sa mort à Rome, seul, ruiné, défiguré et oublié de tous à l’âge de quarante-trois ans seulement, et se conclut sur une séance de travail, assis derrière un piano tandis que chante devant lui Caterina Gabrielli, l’une des plus grandes cantatrices de son temps.

Le cinéaste Petr Václav n’aurait pu mieux illustrer, par ce contraste entre la première et la dernière séquence, sa volonté de remédier à l’anonymisation injuste dont a été victime, pendant deux siècles, Josef Mysliveček. La grande Histoire, en effet, a oublié le compositeur praguois, lui préférant son « compatriote » autrichien Wolfgang Amadeus Mozart qui l’admirait, s’inspira ouvertement de son style et alla jusqu’à réutiliser son ouverture de La Nitteri pour introduire Mitridate, son tout premier opéra italien.

Il Boemo se donne aujourd’hui pour ambition de réparer cette injustice de l’Histoire et de faire connaître au plus grand nombre l’œuvre et le parcours de Mysliveček. En 2015, déjà, Petr Václav avait tourné un documentaire sur le sujet, Confessions d’un disparu, pour lequel il fut récompensé à Biarritz. Le réalisateur franco-tchèque poursuit sur sa lancée et aborde à présent l’angle de la fiction.

À partir d’un riche travail de documentation à la BNF et à l’Arsenal, d’entretiens avec les spécialistes vivants de Mysliveček (Daniel E. Freeman et Stanislav Bohadlo) et de la Correspondance de Mozart qui, selon Václav, « nous a laissé la seule description psychologique » du compositeur tchèque, Il Boemo retrace avec intérêt la difficile ascension italienne de cet artiste sans mécène.

Ayant fui, à vingt-sept ans, sa Bohême natale qui appartenait à l’Empire d’Autriche-Hongrie et fut ravagée par la guerre de Sept Ans, Josef Mysliveček, fils d’un minotier de Prague, vivote en Italie et peine à faire connaître ses compositions. Sa courte liaison avec une noble Vénitienne lui ouvre cependant les portes du succès. Appelé à la cour de Naples en 1767 pour honorer une commande du jeune roi Ferdinand IV, l’opéra Il Bellerofonte, il fait enfin décoller sa carrière au point d’apparaître, à l’époque, comme le compositeur le plus prolifique d’Italie. Auteur de 26 opéras et de 85 symphonies, il ne cessera de composer que lorsque la syphilis dont il est atteint et qui le ronge physiquement l’empêchera d’exercer son métier.

De facture très classique dans sa mise en scène, ce film biographique par Petr Václav, coproduit par la Tchéquie, la Slovaquie et l’Italie, n’affiche clairement pas la même audace créative que l’auteur auquel il souhaite rendre hommage. Toutefois, Il Boemo bénéficie d’une distribution solide – mention spéciale à Vojtěch Dyk dans le rôle-titre –, remplit parfaitement sa mission documentaire et vulgarisatrice et nous offre même une scène mémorable où Mysliveček converse avec un jeune Mozart de quatorze ans (Philip Hahn, réel prodige de la musique classique) qui ne manque pas d’épater son aîné par ses talents d’improvisation au piano.

On peut regretter, çà et là, quelques plans sulfureux à l’utilité toute relative ou encore la séquence scatologique à rallonge sur Ferdinand IV (tirée de faits réels rapportés par l’empereur Joseph II !). Pour autant, s’il n’y avait qu’un seul film à voir en ce moment au cinéma, ce serait celui-ci.

4 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Enfin, une redécouverte … Mais où trouver sa discographie ? Et, qui fera le même travail pour André Mathieu, le compositeur et interprète canadien ?

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