[Reportage] Nous étions à la manifestation de Nanterre, après le décès de Nahel

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Précision et mise à jour ce 30 juin

Nanterre, ce 29 juin 2023, 15 heures. C’est un flot mouvant et disparate qui se presse depuis la sortie du RER Nanterre-Préfecture jusqu’au lieu de départ de la manifestation en hommage au jeune Nahel, victime d’une balle tirée par un policier, le 27 juin, alors qu’au volant d’une voiture de luxe, sans permis, il a refusé d’obtempérer.

Une foule très jeune, disparate, multicolore, se presse dans la chaleur étouffante de cette fin du mois de juin. Ils sont 6.000, selon la police. Des hommes, des femmes, des jeunes filles habillées parfois de crop-top, le ventre à l’air, parfois recouvertes d’une tunique noire ou verte, le visage voilé et les mains décorées de henné. Les poussettes doubles croisent des handicapés dans une chaise. De cette foule bigarrée émerge le style inimitable de quelques militants d’extrême gauche, chevelus et dépenaillés. Dans le wagon du RER, on a croisé le député LFI Aymeric Caron, téléphone en main, qui leur ressemble un peu. Une bonne partie de la NUPES est là - Mathilde Panot a fait savoir sa présence dans un tweet - mais les élus se sont faits discrets.

L'ennemie, c'est la police

Car c’est le peuple des banlieues qui défile, loin des habitants aisés des grandes villes qui mettent la dernière main à leur projet de vacances. Et loin des Français de province, de ces gilets jaunes honnêtes mais épuisés par l’effondrement économique de leur pays. Un troisième peuple, à part, qui va loin dans la sécession et qui gronde.

Pour rejoindre le point de départ, la foule longe une petite chapelle de briques rouges dédiée à saint Joseph, posée à l’orée de l’immense parc de Nanterre. Qui songe, parmi les passants, à lui confier le pays ? À 14 h 15, dès la formation du cortège, le premier slogan retentit. Un classique de l’extrême gauche et des banlieues : « Tout le monde déteste la police », scande la manif, qui reprend « Police assassins » et enchaîne en hurlant « Macron démission ! » ou « Darmanin démission ! »

L’ennemie, plus que Macron, c’est la police. Et derrière elle, l’ordre, la France, les lois héritées d’une civilisation désormais submergée.

Un homme brandit un panneau où il a écrit sa revendication : elle est simple : « Dissolution de la police – raciste, coloniale, capitaliste et patriarcale. » Quelques drapeaux algériens flottent, brandis au bout d’un mas ou portés fièrement en cape sur le dos. Les manifestants auront moins d’égards pour le drapeau français qu’ils essaient d’incendier.

Soudain, après quelques minutes de marche dans les larges avenues plantées d’arbres et bordées d’immeubles contemporains, la foule, à la fois calme et houleuse comme l’océan avant l’orage, s'électrise. Sur le plateau d’une camionnette, entourée d’hommes et de femmes aux tee-shirts noirs siglés Justice pour Adama, Assa Traoré, sœur aînée d’Adama Traoré et visage de la lutte contre les « violences policières », apparaît : « C’est maintenant qu’il faut changer les choses : quand on marche pour un, on marche pour tous ! », hurle-t-elle au micro. Elle poursuit : « C’est vous la puissance, c’est vous la force ! » Et fait répéter : « Police partout, justice nulle part. » La banlieue a ses agitateurs. À ses côtés, la mère de la victime, en tee-shirt blanc, lève les bras comme une rock-star. Un peu plus tard, elle fera pétarader une moto sous les applaudissements.

« Qui nous protège de la police ? »

L’espace est comble autour du char d’Assa Traoré. Une manifestante brandit un panneau où elle interroge : « Mais qui nous protège de la police ? » « Personne, répond une manifestante voilée de vert. C’est nous ! »

L’affluence surprend. Certains évoquent les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises - elles ont commencé à Clichy-sous-Bois, après la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, le 27 octobre 2005, après une course-poursuite avec la police. « C’est la folie !, lance une jeune fille. En 2005, c’était pas cela ! » « C’est les réseaux sociaux », lui répond son amie qui porte un panneau « La police tue ».

Soudain, nouvelle ébullition : des jeunes se serrent les coudes et font un cordon le long de la route. Au milieu de la chaussée, la tante de la victime apparaît, poussée dans une chaise roulante, un jeune garçon d’une dizaine d’années et plusieurs hommes à ses côtés. Elle réajuste sur sa tête un tee-shirt et dresse à nouveau son poing fermé vers le ciel, vestale douloureuse de la révolte ou de la guerre.

Une forte odeur de shit emplit soudain l’air sans qu’on puisse déterminer d’où elle vient. Le cortège approche des bâtiments du tribunal de Nanterre. À la gauche du cortège, neuf fourgons de CRS s’alignent en travers de la chaussée. Derrière cette première ligne, d’autres fourgons et d’autres CRS attendent, immobiles.

Quand ce fleuve de haine sortira de son lit

De temps à autres, une clameur monte de l’avenue où la foule avance encore. Elle se rassemble sur ce rond-point. Des jeunes cagoulés sont juchés sur les feux de route. Sur son scooter, un Noir aux cheveux longs serrés dans un tissu a laissé sur son pare-brise l’inscription « Urgence sang », sorte de laisser-passer pour les hôpitaux. Mais il a écrit sur un carton, derrière, « La sédition est la solution ». Le rapprochement des deux phrases laisse songeur. Un manifestant se fraie un passage dans la foule du rond-point : « La police est raciste et tue des enfants », a écrit avec simplicité l’auteur. « 90 % des personnes tuées par la police sont non blanches ! » Quelques bouteilles fusent au-dessus des grilles du tribunal vers les CRS positionnés à l’intérieur. Vers 15 h 30, des tirs de grenades lacrymogènes font tousser les manifestants qui commencent à s'éparpiller, les yeux rouges. Les plus sages regagnent le RER. Les autres restent. Des incendies de voitures, des heurts parsèment Nanterre.

Quand ce fleuve de haine sortira de son lit, que deviendra la France ? « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait Paul Valéry, dans La Crise de l’esprit, en 1919.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

71 commentaires

  1.  » 90% des personnes tuées…sont non blanches » Et alors? Quelle conclusion faut-il en tirer, si ce n’est que les personnes non blanches sont des casseurs, ne respectent pas les lois.

  2. Les mêmes faits se seraient passés en Algérie et bien …. La famille aurait fait profil bas et personne n’aurait bronché. Effectivement 90 % des personnes tuees par la police sont non blanches… il faut peut-être chercher la bonne raison …. Les jeunes blancs font rarement des refus d’obtempérer…. À 17 ans ils ne conduisent pas de Mercedes sans permis. D’ailleurs s’il avait été emprisonné des son premier refus il serait en vie. Comme quoi il faudrait taper fort des la première fois. J’espère que l’enquête mettra en lumière les circonstances exactes de ce qui s’est passé.

  3. les répressions de 1947 contre les mineurs de Carmaux entre autres et celles de 1968 contre les « manifestations étudiantes » (?)étaient d’une autres natures que celles que nous voyons pas venir alors que pour les gilets jaunes il y a eu pas mal de bêtises de faites, ne parlons pas des manifestation contre le mariage pour tous mais là rien de semblable….. Quand est que notre pays retrouvera un Clémenceau (de gauche) qui n’a pas eu peur de faire usage de l’armée pour arrêter la foule dans un délire destructeur ?

  4. Si l’on veut rétablir l’ordre, il faudrait arrêter les porteurs de drapeaux étrangers dans cette manifestation, celui qui appelle à la sédition et sanctionner tous les responsables politiques qui se sont joints à ce cortège. Mais, ne comptons pas sur ce gouvernement pour rétablir la situation, car il est responsable de la situation.

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