Charles Prats : « Attentat de Lyon : l’information divulguée par le ministre a pu mettre en péril les investigations »

Prats

Le parquet de Paris a recadré Christophe Castaner et Gérard Collomb sous prétexte qu'ils n'avaient pas à communiquer sur l'enquête ouverte après l'explosion d'un colis à Lyon. Réaction et interview exclusive de Charles Prats pour Boulevard Voltaire.

Pourquoi le procureur de la République et la Chancellerie ont dû hausser le ton après l’intervention médiatique de Christophe Casterner et de Gérard Colomb ?

L’enquête sur l’attentat à la bombe de Lyon est une enquête judiciaire pénale en flagrant délit. Elle est donc dirigée par le procureur de la République de Paris, du fait de sa compétence nationale antiterroriste encore d’actualité avant la mise en place du parquet national antiterroriste dans quelques semaines. Elle est, également, couverte par le secret de l’enquête, conformément aux règles posées par le Code de procédure pénale.
Seul le procureur est autorisé à déroger à ce secret et à communiquer en cours d’enquête ou d’instruction, exception faite des appels à témoins qui voient souvent les enquêteurs communiquer sur autorisation des magistrats.
Il était donc normal que le porte-parole du garde des Sceaux et - surtout - que le procureur de la République rappellent, tant au maire de Lyon qu’au ministre de l’Intérieur, quelle était l’autorité en charge de l’enquête et de la communication éventuelle des éléments relatifs à cette dernière.
On peut, d’ailleurs, se demander à quel titre le maire ou même le ministre de l’Intérieur disposent d’éléments relatifs à une enquête judiciaire en cours.
Concernant le ministre de l’Intérieur, il s’agit certainement d’éléments provenant de la DGSI dans le cadre de l’activité de service de renseignement de cette direction. Il est normal qu’elle rende compte à son ministre. On ne peut pas penser qu’il s’agisse de procès-verbaux judiciaires rédigés par des officiers de police judiciaire. Le renvoi récent d’un ancien ministre de la Justice devant la Cour de justice de la République pour violation du secret de l’enquête a certainement dû mettre fin à la pratique de la circulation des éléments des enquêtes pénales dans la sphère politico-administrative...

Le problème provient du fait que l’information divulguée par le ministre, quand bien même elle aurait une origine licite, a pu mettre en péril les investigations.
Concernant le maire de Lyon, on peut en revanche s’interroger sur la provenance de ses informations, outre le fait que, là encore, ses annonces ont pu parasiter l’enquête.
L’autorité judiciaire a, certes, haussé le ton en recadrant la communication des deux hommes politiques. Mais elle aurait pu le hausser beaucoup plus, comme elle l’a fait dans le cas de Jean-Jacques Urvoas.

Assiste-t-on à une guerre de communication entre l’actuel ministre de l’Intérieur et son prédécesseur?

Il faut leur poser la question.
Mais il est politiquement légitime que le ministre de l’Intérieur suive au plus près le déroulement des investigations sur un attentat à la bombe commis sur le territoire national et visant la population.
Et il est, de même, légitime que le maire de la ville dans laquelle s’est produit cet attentat suive l’évolution de la situation.
Tant M. Castaner que M. Collomb sont légitimes à communiquer et à agir. Mais dans le respect des dispositions légales en vigueur et selon leurs compétences respectives.
Et soyons honnêtes : si le ministre de l’Intérieur et le maire de Lyon ne s’exprimaient pas et n’agissaient pas alors qu’un attentat a été commis à Lyon, il leur en serait à bon droit fait reproche. Il s’agit simplement, pour eux, de régler leur communication pour ne pas entraver le déroulé des investigations et respecter les principes légaux, notamment de secret de l’enquête et de respect de la présomption d’innocence.

Sur l’affaire en elle-même, l’apparition de cette « uberisation » du terrorisme est-elle à craindre ?

Le terme d’« uberisation » est assez désagréable et porte préjudice à la marque en question, qui n’a rien à voir avec le terrorisme.
Sur le fond de votre question, il est trop tôt pour conclure alors qu’on ne sait pas si la personne interpellée est bien l’auteur des faits et si elle ne s’inscrit pas dans une organisation structurée. Ce sera, justement, l’objectif de l’enquête et, certainement, de l’information judiciaire qui sera ouverte en fin de semaine de déterminer les conditions de préparation et de commission de cet attentat afin de démanteler un éventuel réseau et de parfaire la connaissance que nous avons de l’évolution de la menace terroriste.

Propos recueillis par Marc Eynaud

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Charles Prats
Ancien magistrat de la délégation nationale à la lutte contre la fraude

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