Cette Autriche qui a dit non à Hitler : Jean Sévillia bouscule les clichés
Dans Cette Autriche qui a dit non à Hitler, le journaliste et historien Jean Sévillia explore avec précision une Histoire douloureuse et méconnue, celle de l’Autriche des années 1930 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur, dont l’histoire personnelle est intimement liée à ce pays, revient de façon très documentée et souvent inédite sur cette Histoire longtemps masquée par des idées reçues.
Éléonore de Vulpillières : Pour quelle raison avez-vous souhaité écrire ce livre ?
Jean Sévillia. C’est un sujet inconnu en France, auquel j’ai réfléchi depuis trente ans, et sur lequel j’ai réuni une documentation considérable. Sur le plan historiographique, j’estime à 60 % la part des informations apportées par mon livre qui n’ont jamais été publiées en langue française. J’ai un lien personnel avec l’Autriche et, dans le cadre général de ma réflexion autour de l’historiquement correct, de ma lutte contre les idées toutes faites dans l'Histoire, je trouve singulièrement injuste que l’on accuse l’Autriche de s’être livrée tout entière à Hitler. J’ai voulu montrer que c’était faux, même s’il y eut bien sûr des Autrichiens activement nazis ou passifs face au nazisme, car nombreux sont ceux qui s’opposèrent au national-socialisme, menant un combat où beaucoup ont perdu la vie. 100 000 Autrichiens ont été poursuivis par la Gestapo entre 1938 et 1945. 10.000 Autrichiens ont été condamnés à mort pour faits de résistance. Ce sont des gens dont on ne parle jamais, et je voulais leur rendre hommage.
É. de V. Vous dédiez votre livre, entre autres, à votre père qui, prisonnier de guerre en Autriche de 1940 à 1945, « ne confondit jamais ce pays avec le nazisme ». Vous y avez passé de nombreux séjours, enfant puis adulte. Quel est le lien familial puis personnel que vous avez tissé avec l’Autriche ?
J. S. L’endroit où vous passez vos vacances enfant, qui fut pour moi l’Autriche, vous marque à vie. Devenu adulte, je me suis intéressé à l’Histoire de ce pays, à sa littérature, à sa culture en général, et ai ainsi renforcé mon attachement à ce pays. Je suis français et j’aime la France, mais quand je suis en Autriche, je ne me sens pas totalement à l’étranger. J’ai développé avec ce pays un lien affectif très puissant.
É. de V. En quoi Adolf Hitler était-il « un Autrichien qui haïssait l’Autriche » ?
J. S. Hitler, né autrichien, a échoué à entrer à l'École des beaux-arts à Vienne. Il s’est ensuite épris de détestation envers Vienne et de tout ce que cette ville incarnait, à savoir le caractère multiculturel et multinational de la capitale de l’Autriche-Hongrie. Hitler adopte très tôt les idées du racisme pangermaniste : tout ce qui n’est pas allemand est pour lui méprisable. Il n’a d’ailleurs pas fait son service militaire en Autriche mais dans l’armée bavaroise. Il déteste les Habsbourg, le catholicisme et tout ce qui fonde l’identité profonde de l’Autriche en 1900.
É. de V. Le chancelier Engelbert Dollfuss, qui mit en place en 1932 un régime autoritaire en Autriche, constitue-t-il une figure méconnue en France ? Fut-il réellement un opposant au nazisme ?
J. S. L’Autriche, avant 1918, était une partie de l’Empire des Habsbourg au sein duquel certains Autrichiens, entre autres parce qu'ils étaient germanophones, ont eu la tentation de se rattacher à l’Allemagne. La République d’Autriche qui se forme au sortir de la Grande Guerre a un problème d’identité, car il n’existe pas, au sens strict, de nation autrichienne. Or, l'œuvre de Dollfuss a consisté à fortifier un patriotisme autrichien dans un pays tourmenté par ce problème d’identité, de renforcer l’Autriche comme État souverain. Dollfuss était un père de famille catholique, conservateur, issu du monde paysan, traditionaliste ; sa vision conservatrice et le régime autoritaire qu’il a mis en place lui ont valu l’hostilité de la gauche, qui l’a à tort assimilé au fascisme, avec lequel il n’a rien à voir. Dollfuss a d’ailleurs été assassiné par les nazis, le 25 juillet 1934, lors d’un coup d’État soutenu en sous-main par Hitler, mais coup d’État qui a échoué parce qu’il s’est heurté à la résolution de l’armée autrichienne.
É. de V. Quels furent les ardents partisans de l’Anschluss ?
J. S. Tout d’abord les nazis. Il existait en Autriche un courant « national allemand », partisan du rattachement à l’Allemagne. Ce courant, déjà présent sous la monarchie des Habsbourg, était hostile à l’Église et à la famille régnante : il rejoindra le national-socialisme. On trouve aussi des partisans de l’Anschluss chez les socialistes autrichiens qui, opposés à l’indépendance de l’Autriche, voulaient qu’elle fût une partie de l’Allemagne. Dans l’esprit de la révolution de 1848, ils attendaient une révolution sociale qui engloberait l’ensemble du monde germanique.
É. de V. Quels ont été les pôles de résistance à Hitler en Autriche dans les années 1930 ?
J. S. Le catholicisme a constitué un fort pôle de résistance au nazisme. L’Église autrichienne était puissante, puisqu'à l’époque, 80 % des Autrichiens étaient catholiques. Or, il existe une incompatibilité entre la doctrine catholique et la doctrine national-socialiste. En arrivant au pouvoir, les nazis ont persécuté l’Église. On relève aussi, à gauche, un fort courant socialiste qui, s’il était partisan de l’Anschluss, était hostile au nazisme.
É. de V. Quel fut le positionnement de l'Église catholique autrichienne sur le nazisme et durant la guerre ? Connut-elle des divisions ?
J. S. De façon générale, à de rares exceptions près, l’Église autrichienne, dans sa hiérarchie, fut unie dans son opposition à Hitler. Notons toutefois le faux pas initial du cardinal archevêque de Vienne, Mgr Innitzer, survenu dans les circonstances suivantes. Les Allemands entrèrent à Vienne le 12 mars 1938 pour empêcher le référendum commandé par le chancelier Schuschnigg qui, le 13 mars, devait confirmer l’indépendance de l’Autriche. Or, le 10 avril 1938 fut organisé un référendum sur l’Anschluss, truqué et manipulé par les nazis : l’opposition fut brimée, il y eut 70.000 arrestations - pour une population dix fois inférieure à la France - et à la fin, on compta 99,7 % de oui à l'Anschluss… Or, le cardinal Innitzer avait appelé à voter oui. Cela lui a valu d’être convoqué à Rome par le pape Pie XI et par son secrétaire d’État le cardinal Pacelli, futur Pie XII. Il sera obligé de rédiger un démenti, publié exclusivement dans L’Osservatore romano, que personne ne lit en Autriche ! Le mal était fait. Par la suite, il s'est « rattrapé » : le 7 octobre 1938, fête du rosaire, il y eut une manifestation à Vienne de la jeunesse catholique, après l’homélie du cardinal Innitzer qui déclara : « Notre Führer, c’est le Christ. » Une grande persécution s’abattit sur l'Église, les écoles catholiques furent fermées, de même que les abbayes. Entre 1939 et 1945, un prêtre sur cinq eut affaire à la Gestapo, en Autriche.
É. de V. L’héritage de cette Histoire douloureuse pèse-t-il aujourd’hui sur la vie politique et sur la société autrichiennes ?
Après la guerre, des procès de dénazification ont été menés par les Autrichiens eux-mêmes. Ensuite, des réparations ont été payées par le gouvernement autrichien aux familles juives qui avaient été spoliées à l’époque du nazisme. Les affaires de cette époque sont lointaines : elles n’ont pas d’effet direct sur la vie politique. En revanche, le débat de savoir si l’Autriche a été victime ou coupable reste vif. À mon sens, la vérité n’est pas à sens unique. L’Autriche a été victime du nazisme, c’est un fait. Ce fait n’est pas contradictoire avec un autre fait : des Autrichiens ont été complices du nazisme. Ce qui n’exclut pas un troisième fait : des Autrichiens ont résisté au nazisme.
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10 commentaires
Il est parfaitement honorable de se montrer comme le continuateur de la Mémoire de son père, ce n’est pas moi qui le contredirai pour cela.
Malgré tout, il faut se montrer un peu moins partial sur ce sujet :
En 1918, l’Empire Autrichien a, tout comme l’Allemagne, été battu.
Par le traité de Versailles, les alliés ont décrété un démembrement léonin de l’Autriche, et le pays s’est retrouvé amputé des trois quarts de sa superficie, ce qui l’a réduit à un grotesque état-croupion, alors qu’il avait été tout au long de son existence le défenseur de l’Europe contre l’Islam et ne représentait aucun danger potentiel.
L’Allemagne, en revanche, conservait une puissance, certes amputée de la Prusse orientale, mais dont on a pu voir très vite qu’elle se relevait avec énergie. Les Autrichiens se sont alors tournés vers elle afin de réaliser un Anschluss. Immédiatement, cette demande fut rejetée par les alliés…Cela démontre bel et bien qu’à la sortie de la guerre de 14/18, la majorité des peuples de langue allemande, dont l’Autriche en premier, souhaitaient ce rapprochement, ceci à la suite du traité de Versailles qui contenait en lui-même tous les ingrédients de la prochaine guerre.
Il est évident que le chancelier autrichien Schussnig représentait la fraction d’une partie des autrichiens défavorables à une fusion avec l’Allemagne, mais il s’avérait alors que la majorité de la population, humiliée par Versailles et rejetée par les alliés, souhaitait fortement ce rapprochement avec une Allemagne hitlérienne qui se relevait.
Cadeau de Noël. ?
Dolfuss était un national-catholique, admirateur de Salazar.
Contrairement aux nationaux-socialistes, variété de lepénistes, il avait le portefeuille à droite, si bien qu’il était meilleur en économie.
C’était un hersantiste altruiste (cf mon livre « Economie ou socialisme il faut choisir »(
Les nationaux-catholiques et les nationaux-socialistes se sont heurtés durement en Autriche en 1934.
Cela a abouti à l’assassinat de Dolfuss.
C’est ce jour-là, le 25 juillet 1934, que le Pape Pie XI a changé d’avis sur le national-socialisme, dont il a compris la nature meurtrière.
Résultat des courses: le national-socialiste Hitler et le fasciste Mussolini sont morts de mort violente et les naionaux-catholiques (ou nationaux-sociaux) sont morts dans leur lit, car avec le portefeuille un peu à droite, ils avaient mieux compris les forces en jeu dans les mondes économique et politique!
Au lieu d’accuser en permanence cherchez et exploitez donc la cause, les vraies raisons de l’arrivée de Hitler au pouvoir et mettez en parallèle ce qui arrive aujourd’hui.
Vous touchez là un point capital. La plupart des générations nouvelles jugent des personnages du passé sans chercher à connaitre le contexte historique. On ne peut juger le National Socialisme sans connaitre l’histoire de l’Allemagne allant de 1918 à 1936, magnifiquement racontée par Benoist-Méchin. On ne peut juger le franquisme sans connaître l’histoire de l’Espagne depuis la chute de la monarchie jusqu’à 1936.
Entièrement d’accord Gérard Laurent
Toujours passionnant d’avoir des informations sur des faits historiques . Et triste de constater que déjà à l’époque juifs et chrétiens étaient persécutés .
ce qui prouve que l’humain n’apprend rien ou ne retiens rien de l’histoire…. hélas ! et c’est vrai partout –
Et ce n’est avec l’éducation nationale que l’on va apprendre quelque chose
L’Histoire n’est jamais simple. Merci à monsieur Jean Sévillia de lever ainsi un voile sur ce pan d’histoire. Mais il est à noter que l’oeuvre de déconstruction de l’Europe est liée à la volonté d’anéantir le catholicisme et les valeurs chrétiennes de notre culture. Et si, tout ce qui nous accable aujourd’hui, n’était que le résultat de cette volonté d’abattre la chrétienté.