Censure rémunérée
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De toute évidence, les progressistes, révolutionnaires hier, crypto-beaufs aujourd'hui, sont en bonne voie de devenir les délateurs de demain, l'avant-garde des zélateurs du mouchardage institutionnalisé. « Avant les trente secondes de la Haine, la moitié des assistants laissait échapper des exclamations de rage. À la seconde minute, la Haine tourna au délire », écrivait Orwell. 1984, l'apocalypse de la pensée, nous y sommes.
Sous cet aspect guilleret des choses, l'université de Sheffield innove. Cette vénérable institution fondée en 1897, classée parmi les meilleures du Royaume-Uni, compte enrôler, moyennant rétribution horaire, vingt de ses propres ouailles. L'objet de cette sinécure : s'attaquer à l'épidémie de « micro-agressions » qui, selon la nomenclature du novlangue officiel, se définissent comme des « commentaires subtils mais offensants ». Ces apôtres de la parole accréditée, baptisés « champions de l'égalité raciale », seront formés pour « mener des conversations saines » sur la prévention du racisme ou de tout comportement qui pourrait être interprété comme offensant à l'égard de certaines minorités.
La vénérable académie se défend de vouloir contrôler le discours des gens ; le rôle de ces toutous de garde de l'égalité immaculée est uniquement « d'initier une conversation » altruiste et constructive. Nous avons récemment appris qu'il existait un viol par l'organe oculaire, nous apprenons aujourd'hui qu'une « micro-agression » est un commentaire, une action, parfois involontaire, qui pourrait potentiellement offenser un groupe minoritaire. Par exemple : « D'où venez-vous vraiment ? », « Je ne veux pas entendre parler de vos vacances en Afrique. C'est loin d'où je viens », « Être comparé à des célébrités noires à qui je ne ressemble en rien », « Arrêtez de faire de tout un problème racial ».
Ben Shapiro, journaliste, écrivain équivalent outre-Atlantique d'un Zemmour, affirme que « la gauche considère que toute déclaration doit être évaluée non seulement sur la base de sa valeur de vérité, mais également sur la base de savoir si une telle vérité est susceptible d'offenser ou, du moins, susceptible d'offenser des groupes que la gauche perçoit comme des victimes ». « Selon la gauche, toute vérité doit reculer devant “sa vérité propre”, tant qu'elle est revendiquée par une minorité. »
Pour faire taire ses contradicteurs, invoquer systématiquement l’offense justifiée par l'« identity politics », que l'on peut traduire par « politique communautariste essentialiste », constitue l'arme de censure massive dont abusent la gauche, ses officines et groupuscules partisans subsidiés : mouvements féministes, LGBTQ et déclinaisons, antiracistes, indigénistes, post-coloniaux, etc., l'intersectionnalité en sus. Aliéné de toute vérité objective, le progressisme ne se pose plus la question de savoir si certaines déclarations sont objectivement offensantes. Si celles-ci le sont, ne fût-ce que subjectivement, le premier groupe à fleur de peau à s'en réclamer écorché gagne le précieux sésame de l'offensé.
« Nous devons tous nous comporter avec décence et vérité », conclut Shapiro, « ce sont les deux piliers du conservatisme : la vertu et la raison. Le rejet de la raison sape la vertu en remplaçant la vertu par une réactivité basée sur les émotions ; le rejet de la vertu sape le tissu social nécessaire pour soutenir l'efficacité de la raison. » Que de belles paroles ! Malheureusement, progressisme de gauche et vertu est une antithèse bien connue.
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