Bardella, Dupont-Aignan et Coquerel, « traîtres à la patrie » ? Aphatie se trompe d’ancêtres

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Il n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Invité de David Pujadas pour sa traditionnelle chronique, Jean-Michel Aphatie a livré un éditorial aux allures de réquisitoire. Courageux, indigné - nécessaire, comme Télérama le dirait d'un mauvais film.

Pour lui, certains hommes politiques sont des « traîtres à la patrie ». Il assume. Phrase à la mode qui permet de ne rien assumer après l'émission. Leurs noms ? Mais très volontiers : Bardella, Coquerel, Dupont-Aignan. Leur crime ? Mais voyons : avoir osé dire que les sanctions contre la Russie appauvrissaient les Français et enrichissaient les Russes. C'est objectivement vrai, mais ça ne se dit pas. Comme les prénoms des délinquants, si vous voulez. Incroyable, ce nombre de choses vraies qu'il ne faut pas dire.

Mais attendez : les traîtres ne s'arrêtent pas là, puisqu'ils demandent carrément l'arrêt des sanctions, dans l'intérêt des Français. Aphatie s'étouffe. L'intérêt des Français n'est rien par rapport à « nos valeurs ». Après un début classique, Jean-Michel tente le double axel : c'est son métier, le patinage médiatique. Et on peut dire qu'il sait le faire, le patin. Parmi les figures spectaculaires : Poutine, c'est comme Hitler ; Bardella a l'air très (trop) bien informé de ce qui se passe en Russie ; Ségolène Royal est manipulée par l'ambassade. Un sans-faute.

Jean-Michel Aphatie a raison de s'inscrire dans une longue tradition de journalisme, mais il se trompe d'ancêtres. Ses lointains parents ne sont pas Albert Londres ou Joseph Kessel. Non, ses augustes prédécesseurs sur le chemin de la véhémence en pantoufles s'appellent Hébert, Henriot ou Levitan.

Youri Levitan, avec sa voix impérieuse et profonde, était le speaker de Staline. Son accroche, « Moscou parle ! », résonnait comme une parole divine dans les haut-parleurs de toutes les villes d'URSS. Philippe Henriot était l'éditorialiste de Radio-Paris. Son talent était même reconnu par la Résistance, qui l'assassina chez lui, devant sa femme, pour le faire taire. Hébert, l'enragé de la Terreur, réclamait des têtes dans son journal quotidien, Le Père Duchesne, avec une grossièreté sans nuances qu'il devait considérer comme plébéienne. Quand son tour fut venu - car ces gens se dévorent toujours entre eux -, Hébert l'impitoyable passa ses derniers jours, dans sa cellule, à pleurnicher comme un enfant. La véhémence en pantoufles, je vous dis.

Aphatie ne réclame pas douze balles pour les traîtres, car c'est un humaniste, mais il ne faudrait probablement pas le chercher beaucoup. Il faudrait peut-être lui rappeler que ni la Russie ni l'Ukraine ne sont nos amis. Les droitards poutinolâtres sont aussi hémiplégiques que les atlantistes ukrainophiles (on dirait une phrase de la dictée de Pivot, mais vous voyez ce que je veux dire). Cette guerre n'est pas la nôtre. Nous ne savons même pas ce que sont « nos valeurs », alors ne donnons pas de leçons aux autres, surtout quand on n'a pas la moindre idée de ce qui se passe sur place.

On peut toujours dire que Jean-Michel Aphatie, avec son goût terrifiant de l'Inquisition, est un extrémiste, mais, comme le dit Xav Maréchal (Alain Delon) à Moreau (Michel Aumont) dans Mort d'un pourri, « personne ne dira ce que vous êtes vraiment. La vérité c'est que vous êtes un con, Moreau. Rassurez-vous, il y en a d'historiques. Vos prédécesseurs s'appellent Savonarole, Fouquier-Tinville. »

Merci à lui pour cette belle tranche de rire. Rire jaune, toutefois, car les perroquets de la doxa, quand ils perdent leurs nerfs, sont comme des canaris au fond de la mine : ils annoncent l'effondrement.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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