Aznavour : l’autre grand Charles…

Charles Aznavour n’est plus. Le temps passe et les mœurs changent, surtout en ces temps d’immigration massive. Ainsi, Shahnourh Varinag Aznavourian, son patronyme d’origine, à l’instar d’Henri Verneuil (Achod Malakian, de son vrai nom), était-il issu de l’immigration arménienne. Laquelle ne consistait pas à aller voir s’il faisait là plus chaud qu’ici, quoique la « misère soit toujours plus belle au soleil » ; simplement parce que pris dans les bouleversements de l’Histoire, leur vie était véritablement en danger. Le sacro-saint droit d’asile n’était alors pas vidé de sa substance.

À l’époque, Éric Zemmour était à peine né, et pourtant prévenaient-ils déjà les débats à venir, troquant leurs appellations d’origine contre des prénoms européens. Shahnourh pour Charles, Achod pour Henri. Ce qu’ils ont pu y perdre de racines, les branches de l’arbre français y ont trouvé tout à y gagner. Résultat ? Ces immenses artistes, aujourd’hui donnés pour Français emblématiques, ne l’étaient pas à la naissance.

Si la carrière d’Henri Verneuil se confond désormais avec l’histoire du septième art de chez nous, il en va aussi de même de celle de Charles Aznavour ; lui dont les chansons ont ponctué tant de moments de nos vies, même dans ce qu’elles peuvent celer de plus intime.

Tous ceux qui ont, un jour, rêvé de faire quelque chose de leur existence ont écouté Je m’voyais déjà, tandis que les autres, ayant rencontré l’être aimé au son des Plaisirs démodés, ont fini par s’en lasser à celui de Tu t’laisses aller. Les mêmes, se rappelant des jours durant lesquels un quignon de pain faisait office de festin, n'ont pas oublié sa Bohème. Quant à ceux qui préféraient le lit des hommes à la couche des femmes, c’était Comme ils disent.

Les amateurs de musiques pour jeune ont également une dette à son égard, à en juger des chansons écrites pour de plus vertes pousses : Retiens la nuit, à l’attention de Johnny Hallyday, et La plus belle pour aller danser, à celle de Sylvie Vartan. Tubes majeurs qui doivent, il n’est pas anodin de le préciser, à son vieux comparse, Georges Garvarentz - autre compatriote arménien.

Mais l’ami Charles, c’était aussi le cinéma, l’homme ayant le don de passer des planches du music-hall à celles du cinoche avec la même nonchalance. Quelques titres permettent, à eux-seuls, d’en juger : Tirez sur le pianiste, en pianiste dépressif, avec la divine Marie Dubois, le cinquième film de François Truffaut ; Un taxi pour Tobrouk, en juif très perdu dans le désert, de Denys de La Patellière ; La Métamorphose des cloportes, en improbable gourou vaguement hindouiste, de Pierre Granier-Deferre ; Les Fantômes du chapelier, en tailleur fatigué, de Claude Chabrol. Et un petit clin d’œil pour son interprétation pour le moins bluffante d’un autre pianiste, dépressif évidemment, mais surtout poivrot en stade terminal, dans le très mésestimé Dix petits nègres, de Peter Collinson, étrange coproduction anglo-cosmopolito-iranienne, dans laquelle une autre regrettée, Stéphane Audran, jetait ses feux ensorcelants.

On rappellera encore que si le public demeura toujours fidèle à Charles Aznavour, l’homme, lui, ne s’appréciait guère. Complexé d’être petit et à peine plus beau qu’un furoncle, souffrant d’une voix qu’une tabagie intensive avait prématurément voilée, il en voulut beaucoup et longtemps à ces critiques ayant peiné à saluer son indéniable talent. Ces querelles ne sont désormais plus de mise. Et de son œuvre, on préférera se souvenir plus des pics que des creux. À sa manière, et ce, en termes de totem national, Aznavour était aussi un autre grand Charles, même si autant d’Arménie que de Gaulle. Comme quoi...

PS : pour les amateurs de bonne musique et d’un Aznavour au top, cet album : Jazznavour, dont le maître d’œuvre est un Arménien, l’ébouriffant Lévon Sayan.

JAZZNAVOUR :

DIX PETITS NÈGRES

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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