« Avec 95 % de réussite au bac cette année, avoir échoué va devenir le comble du snobisme ! »

Jean-françois Chemain

L'année scolaire 2020-2021 se termine. Une année scolaire endeuillée par l'assassinat de Samuel Paty, le 22 octobre dernier. Vous rappelez-vous ce que vous aviez ressenti, lors de ce drame ?

Je me le rappelle très bien, en effet… Un sentiment d’horreur, bien sûr, mais mêlé d’une impression d’absurdité… J’étais précisément en train de faire visiter à un groupe de jeunes musulmans l’ossuaire des victimes de la Terreur à Lyon : 2.200 crânes décapités, entassés dans une crypte construite par leurs descendants, à leurs frais, et que la mairie refuse d’entretenir. Je me suis dit – et mes jeunes visiteurs aussi ! – que, si la République s’horrifiait légitimement de la décapitation de Samuel Paty, elle s’accommodait très bien des dizaines de milliers sur lesquelles elle avait fondé son avènement. Staline l’a très bien résumé : « Un mort, c’est un drame, un million de morts c’est de la statistique. » J’ai aussi pensé que cet enseignant était mort pour avoir accompli son devoir républicain de montrer des dessins obscènes de Mahomet, ce qui était supposé faire réfléchir ses élèves, alors qu’il aurait été condamné par la Justice si, comme le professeur Louis Chagnon, il avait évoqué la question du rapport dudit Mahomet à la violence.

 

Un an auparavant, le #PasDeVagues lancé par des professeurs sur les réseaux sociaux avait alerté sur la situation ubuesque de profs lâchés par leur hiérarchie, voire condamnés. Est-ce que cette situation a changé ?

Pour être parfaitement honnête, je ne peux en parler personnellement, ayant démissionné de l’Éducation nationale. Mais j’ai de nombreux échos de ce qui se passe, et je sais que rien n’a changé, bien au contraire. Les incidents se multiplient et ceux qui en sont victimes se trouvent face à trois réactions de la part de leurs collègues : certains prennent certes fait et cause pour eux, ce qui leur apporte un grand soutien, mais ils ne sont pas la majorité. Car beaucoup font l’autruche, comme si de rien n’était et, surtout, d’autres les accusent d’en faire trop, de contribuer à stigmatiser la population musulmane. Et ces derniers se recrutent surtout dans des profils militants d’extrême gauche, très présents dans l’Éducation nationale, notamment dans les milieux syndicaux. Quant au soutien de la direction, là aussi, les témoignages dont j’ai connaissance font état d’un manque de soutien, quand ce n’est pas d’une suspicion… La crainte majeure de nombreux chefs d’établissement, c’est d’être taxés d’islamophobie.

 

L'année s'est finie avec un baccalauréat largement distribué. Faut-il en finir avec cet examen qui ne prépare ni ne consacre grand-chose ?

Oui, avec 95 % de réussite au bac cette année, avoir échoué va devenir le comble du snobisme ! Et l’on voit le niveau des élèves qu’on récupère ensuite dans le supérieur. Ils ne possèdent pour la plupart aucune base, dans aucun domaine, juste la légère suffisance de ceux qui croient encore avoir réussi un examen sérieux. Par contre, ils sont parfaitement programmés sur les questions de genre et de racisme. Il devient de plus en plus difficile, à l’enseignant du supérieur, de s’exprimer sur quelque sujet que ce soit sans être victime d’un procès en racisme, sexisme, homophobie, islamophobie… Il faut vraiment tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir !

 

 De manière générale, y a-t-il quelque chose à sauver, dans l’Éducation nationale ?

Cela dépend de la mission que vous lui attribuez. Si vous vous imaginez qu’elle a pour mission d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à raisonner, à se faire une opinion libre et fondée rationnellement, alors il n’y a rien à sauver. Mais ce n’est certes pas son projet. L’Éducation nationale a pour but de « faire des républicains » - ce sont les mots du Président Macron et, avant lui, ceux de Jean Macé et Ferdinand Buisson, ses fondateurs –, c’est-à-dire des gens qui votent à gauche et, donc, qui pensent à gauche. Or, qu’est-ce que l’esprit de gauche, sinon la propension à ânonner les dogmes d’un catéchisme issu des « vertus chrétiennes devenues folles » chères à Chesterton, sous la férule de ce bas clergé laïc que sont les enseignants ? L’Éducation nationale n’est pas là pour vous apprendre que 2 + 2 = 4 mais que l’homme et la femme sont des constructions culturelles, qu’une certaine religion qui se vante elle-même de s’être répandue par la guerre est en fait une religion de paix et que les Français sont un peuple de coupables… Pour gober cela, il vaut mieux ne pas savoir compter. De ce point de vue, elle fait son boulot.

Jean-François Chemain
Jean-François Chemain
Professeur d'histoire en banlieue

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