Au fil d’une vie de roman, Bernard Tapie n’aura servi qu’une seule cause : la sienne

Bernard Tapie s’est éteint, ce dimanche 3 octobre, à 78 ans, après un long combat contre le cancer. Cette dernière bataille, menée avec beaucoup de dignité, de courage et de force aura touché les Français et placé au-dessus de cet homme hâbleur, gouailleur, dont l’honnêteté a souvent été attaquée devant les tribunaux, un halo d’admiration et de sympathie populaires. Le vieux lion aura combattu jusqu’au bout, jusqu’au terme d’une vie qu’on jurerait tirée d’un roman de Balzac.

Mais avant cet ultime bras de fer, que d’erreurs, que d’errements, que de prétention, que d’égoïsme. L’homme était doué. Tapie avait pour lui une gueule, une personnalité, une force de conviction, une habileté diabolique, un culot inaccessible au commun des mortels et la conviction décomplexée que la fin justifie les moyens. Si seulement ce touche-à-tout des affaires, de la politique, du théâtre ou du cinéma avait mis ses convictions au service d’une cause - celle de la France, par exemple -, si ce personnage populaire avait mis une petite part seulement de son génie au service du pays, il mériterait les hommages. Il incarne plutôt une génération plus soucieuse de son confort, de son argent et de son statut que du destin du pays. Toute sa vie, Tapie aura servi de symbole.

Avant de se lancer dans les affaires, le jeune Tapie s’est essayé au théâtre et à la chanson avant de tenter une carrière dans la Formule 3. Tout Tapie est déjà là : il est grisé par les feux de la rampe, il aime la vitesse. Une troisième passion couronne vite les deux premières : l’argent. À partir de 1967, ce technicien en électronique crée et revend des sociétés à une vitesse folle, enjambant (déjà) les condamnations judiciaires (un an de prison avec sursis pour publicité mensongère, en 1981). Dans les années 1980, il repère et exploite un nouveau filon. Tapie rachète pour 1 franc symbolique de grandes entreprises en dépôt de bilan (Manufrance, Terraillon, Look, La Vie claire, Testut…), rhabille leur bilan et les revend souvent plusieurs centaines de millions de francs. Sa fortune est faite. Il fait la une des magazines et fait bondir les audiences des émissions de télévision qui se l’arrachent. Très vite, il anime sa propre émission (« Ambitions »), lance des écoles de commerce. L’adrénaline des affaires ne lui suffit plus. Il lui faut du sport : le cyclisme et le football tempèrent un temps la fringale de l’insatiable Bernard Tapie. Mais une autre adrénaline le rattrape : la politique. Ambitieux et opportuniste, Tapie a flirté discrètement avec la droite mais c’est Mitterrand qui le lance dans le combat politique, contre un Front national en pleine ascension sous la houlette de Jean-Marie Le Pen. Le débat qui oppose les deux hommes sur TF1, en septembre 1989, est d’une grande violence. Tapie sert la doxa ambiante. « Il n’y a pas de problème général en France de l’intégration, explique-t-il. Il y a 400 endroits ponctuels très identifiés qui posent problème et quand on met les moyens, le temps, la volonté et le talent, ces bastions-là disparaissent : il y en a déjà une vingtaine qui ont disparu. » Le temps s'est chargé de contredire Tapie. « Vous êtes un matamore, un tartarin, un bluffeur et nous attendons de voir, à part quelques onomatopées que vous lancez sur les écrans, ce que vous êtes capable de faire dans la politique », cogne le patron du Front national.

Nommé ministre de la Ville en avril 1992, Tapie est mis en examen en mai. Il démissionne. L’homme qui faisait la morale à Le Pen et à ses électeurs paiera, dans sa vie, un lourd tribut à la justice. Son parcours devant les tribunaux a commencé bien avant sa parenthèse politique, il s’est poursuivi jusqu’à la fin : affaires du Crédit lyonnais, VA-OM, faillite de l’Olympique de Marseille. En 1996, Tapie est condamné à six mois de prison ferme pour corruption et subornation de témoins. Il reprendra une carrière d’acteur et de musicien avant de retourner aux affaires. Au fond, Tapie aura voué sa vie à une seule cause : la sienne. C’est la clef et la limite d’un personnage doué et attachant par son combat contre la maladie dont on cherche en vain ce qu’il a vraiment apporté à son pays.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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