Elle fait partie du paysage médiatique international des quarante dernières années. À la fin des années 80, Aung San Suu Kyi était déjà à la une des magazines. Fille d'un général birman assassiné par son rival, élevée en Inde par sa mère ambassadrice, diplômée d'Oxford, elle se lance en politique en 1988 quand elle retourne en Birmanie et lutte contre la junte militaire au pouvoir. Rapidement arrêtée et assignée à résidence, elle est vue par l'Occident comme l'espoir d'une démocratisation du pays. Ses convictions non violentes et son altière silhouette de vestale, drapée de dignité silencieuse et de soie sauvage, sont au service d'une éloquence politique enthousiasmante qui exalte la résistance à l'oppression et la nécessité de ne pas avoir peur.

Prix Nobel de la paix en 1991, elle est libérée en 1995 mais n'a pas le droit de revoir son mari, qui meurt en 1999 loin d'elle. Le régime multiplie brimades et vexations pour la faire taire ; elle est incarcérée à de nombreuses reprises, souvent sans motif sérieux et au mépris d'une communauté internationale décidément sans aucun poids face aux dictatures.

Il faut attendre 2010 pour qu'elle soit enfin libérée. Députée en 2012, elle est empêchée de devenir présidente mais cumule de facto toutes les attributions régaliennes à partir de 2015, avec l'accord du président en titre. On lui reprochera alors une relative passivité face au comportement de l'armée contre les musulmans rohingyas, nouveaux damnés de la Terre pour une intelligentsia qui a besoin de victimes fraîches. Paris lui retire même, en 2018, sa citoyenneté d'honneur. Le vent a tourné et l'islam est désormais plus chic que la démocratie.

Ainsi donc, après avoir passé près de vingt ans en résidence surveillée, après avoir lutté pied à pied contre une junte militaire qui lui aura tout pris, voici qu'Aung San Suu Kyi vient d'être à nouveau arrêtée. Sera-t-elle, cette fois, soutenue par le camp du bien malgré son parcours pas totalement conforme aux canons du siècle ? Rien n'est moins sûr. Vous me direz qu'à 75 ans, elle ne doit plus guère se faire d'illusions sur la solidité et la solidarité des Nations unies. Son combat est ailleurs. Sa force se suffit à elle-même. Voyez plutôt ce qu'elle déclarait en 1990, trente ans avant la dictature sanitaire, dans son discours le plus célèbre Freedom from fear :

« Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. [...] Dans un système qui dénie l’existence des droits de l'homme fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’État, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de ressurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé. »

Aung San Suu Kyi mourra peut-être en prison, cette fois. La roue du monde tourne (ou n'est-ce pas plutôt une girouette ?) et les indignations changent comme les modes. On n'a sans doute pas le temps de tout faire, contrôler les attestations et soutenir la liberté. Ses leçons, elles, ne passeront pas de sitôt. Comme Soljenitsyne en son temps, elle ne correspond pas à l'idéal platonicien de ce que devrait être ou penser ou dire, pour bien faire, un dissident acceptable. Tant mieux ! Gardons dans un coin de notre tête sa dignité face à l'absurdité de la dictature administrative. Nous pourrions en avoir besoin un de ces jours.

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01 février 2021 à 13:08

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