Ce qu’enseigne le « procès » de Marie-Antoinette, c’est la vulnérabilité de nos institutions judiciaires. À l’époque de la condamnation de la reine, c’était une vulnérabilité devant la politique ; aujourd’hui, c’est également cela, bien sûr (pensons à la syndicalisation des juges, à leur « mur des cons », au coup d’État judiciaire de 2017 (affaire Fillon), à la mise à pied du professeur Coronel de Boissezon, etc., on pourrait dresser une liste infinie) ; mais ce n’est pas seulement cela : c’est aussi, et peut-être surtout, leur vulnérabilité devant la décadence de l’esprit juridique, a fortiori de l’esprit judiciaire.

Nos contemporains ne prennent pas suffisamment la mesure de cette régression que l’on constate dès la formation intellectuelle des futurs magistrats à l’École nationale de la magistrature, où les élèves ne se voient pas offrir la possibilité de prendre du recul sur leur matière, où l’enseignement est purement technique, où la réflexion est absente. Je me souviens, par exemple, d’un avocat général – en instance d’appel, donc - qui manifestait visiblement une totale incompréhension du célèbre thème d’Antigone, soulevé jadis par Sophocle, et qu’invoquait une des parties en présence.

Arrivés dans leur salle d’audience, de nombreux magistrats, qu’ils soient du parquet ou du siège, font preuve non seulement de sectarisme, mais encore d’incompétence. Il n’est pas rare qu’à la lecture d’un jugement rédigé dans une langue française souvent privée de syntaxe, un avocat doive demander une explication écrite, sans quoi le jugement est incompréhensible.

Le même constat de décadence est à faire chez de nombreux avocats, dont beaucoup ont perdu de vue ce qu’est la vocation radicale de leur profession, qui est de défendre. Combien de fois a-t-on vu des avocats refuser de défendre un client pour des raisons de conformisme politique, mais aussi parce qu’ils étaient réputés coupables ? Coupable ou non, un avocat doit remplir son office, qui consiste, depuis les Grecs, à défendre même le pire des criminels.

Enfin, on a fini par confondre la loi et la justice. Or, le juge ne voit pas comparaître devant lui un crime, mais un criminel, ce qui n’est pas la même chose. C’est pourquoi il jugera la personne incriminée, pas le crime, dont l’appréciation revient au législateur.

Il n’y a pas si longtemps, une voleuse de supermarché a été relaxée parce que le juge, qui contre toute attente connaissait son métier, et peut-être même la pensée morale de saint Thomas d’Aquin, avait tenu compte de sa situation de détresse. Eh bien, le Parquet a fait appel en supposant que cette relaxe pouvait revenir à légaliser le vol.
Ces aberrations judiciaires sont devenues tellement inhabituelles que personne n’y prend plus garde.

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16 octobre 2019 à 18:20

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