Afghanistan : pas le moment de « déconstruire l’Histoire »…
Tout le monde, aujourd’hui, est un peu épidémiologiste, le chef de l’État en premier. Un clou chassant l’autre, tout le monde, depuis dimanche dernier, avec la prise de Kaboul par les talibans, est un peu aussi géopoliticien. Du reste, Marlène Schiappa, qui peut, parfois, ne pas manquer de piquant, a réagi vivement aux propos du maire écolo de Grenoble : « Éric Piolle n’est pas capable de venir à bout d’un groupuscule local de promotion du burkini à Grenoble mais donne des leçons de géopolitique. » La leçon de géopolitique de Piolle ? « Afghanistan. Emmanuel Macron fait honte à la France. Nous, maires de tous bords politiques [ça, c’est à vérifier…], appelons l’État à être à la hauteur. À Grenoble, nous nous organisons pour recueillir les réfugiés. »
Tout le monde est épidémiologiste, géopoliticien, alors pourquoi pas, aussi, historien ? Emmanuel Macron - lui encore ! – affirmait, sur la chaîne américaine CBS, qu’il fallait « d’une certaine manière déconstruire notre propre Histoire ». « Déconstruire », c’est mieux que « démolir », n’est-ce pas ! Ça porte en soi un projet, ça a un côté positif. D’ailleurs, lorsque les talibans d’hier (paraît que ceux d’aujourd’hui sont différents, voire mieux) avaient foutu en l’air les Bouddhas de Bâmiyân, en 2001, était-ce de la démolition ou de la déconstruction ? La question mérite d’être posée. Mais avant de déconstruire l’Histoire, il n’est peut-être pas inutile de la connaître un peu. On ne fait pas péter un immeuble sans étudier s’il n’y a pas un risque qu’il vous tombe sur le coin de la figure.
Or, lorsqu’on s’intéresse un peu à l’histoire de l’Afghanistan, et sans remonter jusqu’à Alexandre le Grand, on ne peut qu’être sidéré par les similitudes entre le passé et aujourd’hui. Pour s’en convaincre, on lira avec profit le livre du Britannique William Dalrymple, Le Retour d’un roi : la bataille d’Afghanistan, publié en 2014. Il y raconte la guerre qui opposa les Anglais à l’Afghanistan de 1839 et 1842. Soucieux de contrer l’expansionnisme russe dans la région (cette rivalité entre Russie et Grande-Bretagne en Asie qu’on appelait alors le « Grand Jeu »), les Britanniques envahirent l’Afghanistan avec une armée forte de 18.000 hommes. Trois ans plus tard, il ne restait qu’un survivant pour témoigner. Ce fut le « pire désastre que l’Empire britannique ait connu en un siècle », selon Dalrymple. Le plus grand empire de l’époque défait par quelques bandes tribales. Une humiliation comparable à celle connue aujourd’hui par les USA et l’OTAN, la plus grande coalition de l’Histoire moderne.
En 2015, quelques mois après la sortie de son livre, l’historien et journaliste déclarait : « On a beau redouter, voire détester les talibans d’aujourd’hui, on ne peut qu’admirer la façon dont ils chassent leurs envahisseurs. Ceux qui connaissent le déroulement de la première guerre anglo-afghane seront troublés avec celle qui tourne actuellement au désastre […] Dès que l’on se rend en Afghanistan, on voit que l’Histoire se rejoue […] Au fond, ce livre évoque notre incapacité à retenir les leçons qui étaient là, si seulement on avait bien voulu s’y intéresser […] Ni George Bush ni Tony Blair ne connaissent l'Histoire. » Ils ne devaient et ne doivent pas être les seuls. Et aujourd’hui, le désastre est là. Et nous n’avons sans doute pas encore tout vu. Avec tout ça, une leçon, peut-être ? Arrêtons de donner des leçons et contentons-nous déjà de bien apprendre celles de l’Histoire. On verra ensuite s’il faut la déconstruire…
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