Toute ressemblance avec la situation actuelle serait purement fortuite. Mais notre Histoire constitutionnelle, malgré ses cohérences majoritaires bien huilées, recèle tout de même quelques situations de crise. Ce fut le cas avec la victoire, les 11 et 25 mai 1924, de l'union de quatre partis de gauche de l'époque : le Cartel des gauches, dirigé par Édouard Herriot, le maire radical de Lyon. Cette association électorale avait pour but de vaincre la majorité sortante de droite du Bloc national, la Chambre bleu horizon élue en 1919. Cette victoire du Cartel des gauches est d'ailleurs relative : minoritaire en voix, il est majoritaire en sièges, du fait du mode de scrutin, et, surtout, de la division de ses adversaires.

Or, le président de la République élu en 1920 pour succéder à Poincaré et à l'éphémère Deschanel, Alexandre Millerand, s'était engagé pour la majorité de droite sortante, dont il avait été membre (élu député de Paris en 1919 sur la même liste que Maurice Barrès) et qui avait ensuite largement contribué à sa propre élection à l'Élysée en 1920. Après une longue carrière politique, il avait en effet évolué du radicalisme et du socialisme vers la droite lors de son premier passage au ministère de la Guerre en 1912, qu'il retrouva au début de la guerre, en août 1914. Donc, l'un des premiers actes de la nouvelle majorité sera de contraindre le Président Millerand à la démission, un mois plus tard, le 11 juin, en refusant d'investir des présidents du Conseil proches de lui. La IIIe République n'avait pas inventé la cohabitation. Il faudra attendre soixante ans de plus et Mitterrand pour qu'un autre Président à la majorité défaite trouve la formule pour se maintenir - puis se faire réélire.

Alexandre Millerand adressa, ce même 11 juin, une lettre aux Français pour dénoncer ce « précédent redoutable, qui fait de la présidence de la République l’enjeu des luttes électorales », « une décision, inspirée par l’esprit de parti à quelques meneurs ». Des « meneurs » nommés Blum, Herriot, Painlevé. Ambiance. Il tenta vainement de rebondir, comme on dit aujourd'hui, en fondant ensuite son propre parti et en se faisant élire sénateur. Il n'empêche qu'il avait consciemment posé la question de l'institution d'un exécutif fort, qui ne fut réglée qu'avec de Gaulle et la Ve République.

Toujours dans la série des « toute ressemblance, etc. », Millerand est aussi considéré comme le « sauveur des Polonais » par le soutien qu'il leur apporta de 1919 à 1921 contre les Soviétiques, un soutien où s'illustra, pendant 18 mois, un certain capitaine de Gaulle.

Ce président « déchu » vivra assez longtemps pour connaître l'autre victoire de la gauche, celle du Front populaire en 1936, puis la défaite de 1940 et Vichy.

Donc, ce printemps 1924 fut riche en élections : la démission de Millerand imposait une élection présidentielle anticipée. Sous la IIIe République, où le président de la République n'est pas élu au suffrage universel direct mais par les deux chambres (Sénat, Chambre des députés) réunies en Assemblée nationale, on organise ça dans les deux jours : le 13 juin 1924, Gaston Doumergue, candidat des modérés, en sort vainqueur par 515 voix contre le candidat du Cartel des gauches Paul Painlevé et - une première dans notre Histoire - un candidat communiste. Quatre partis de gauche rassemblés dans une alliance électorale, bien que minoritaire en voix mais majoritaire en sièges, avaient réussi à imposer leurs hommes et leur programme à un Président de centre droit, allant même jusqu'à obtenir sa démission.

Le 14 juin, le nouveau Président nomme Édouard Herriot président du Conseil qui peut appliquer le programme du Cartel.

L'un des premiers actes officiels du nouveau Président Gaston Doumergue, contraint de revenir à une pratique « inauguration de chrysanthèmes », fut de proclamer l'ouverture officielle des Jeux olympiques d'été de Paris, lors de la cérémonie au stade olympique de Colombes, le 5 juillet 1924. Aux dernières nouvelles, aucun incident ne fut à déplorer autour du stade.

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11 juin 2022 à 14:30

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11 commentaires

  1. Il fallut « attendre De Gaulle…… » et tournant le dos à son 1er mandat de 1958 au moyen d’un référendum inqualifiable….par Miitterrand il le fut…pour retrouver en 1965 un Président qui fut Guide comme L-N Bonaparte le fut Prince puis Empereur!

  2. Parlons de celui qui fit tomber Millerand : Edouard Herriot. Et rappelons son misérable mensonge face au communisme soviétique. Herriot se rend en 1933 en URSS. Herriot visite l’Ukraine, où sévit alors une famine dramatique (Holodomor) déclare n’avoir vu que « des jardins potagers de kolkhozes admirablement irrigués et cultivés […]. Lorsque l’on soutient que l’Ukraine est dévastée par la famine, permettez-moi de hausser les épaules. » … Or, je n’ai constaté que la prospérité.

  3. Les dangers viennent toujours de la gauche avec sa volonté de faire subir ses utopies à l’ensemble de la nations, alors ne parlons même pas de l’extrême gauche qui va nous mener au chaos par les urnes et/ou par la rue…
    Bravo aux apprentis sorciers de la macronie qui nous ont mis dans cette situation !!!

  4. Revenons à la sémantique. La « droiture » est une qualité, la gaucherie, une maladresse souvent coupable. On le voit à chaque fois, mais apparemment beaucoup se laissent encore berlurer. Comme disait le jeune « zyva » à Balladur dans les regrettés guignols de l’Info : »Fais-nous rêver, bouffon! »

  5. Qu’ils aient ou non entendu parler des théorèmes de Condorcet, Arrow, Gibbard-Satterthwaite et Hylard, combien de nos concitoyennes et de nos concitoyens sont conscients que nos modes français de désignation de nos élus sont totalement incohérents et irrationnels; en particulier comme si obtenir la majorité , à fortiori des seuls votants, même pas des inscrits, désignait forcément le meilleur, le plus intelligent et surtout le plus altruiste.

  6. Millerand, Socialiste devenu « de droite » par le sentiment national acquis durant la Grande Guerre, et De Gaulle devenant Général par son accès au Gouvernement , ont en effet bien des points communs .

  7. Il serait bon que les jeunes dans les écoles apprennent l’histoire de France et ses rebondissements, parce que l’histoire se répète souvent, pour ne pas dire toujours. Les derniers événements que nous vivons aujourd’hui le montrent bien, autant avec la réélection de macron, qu’avec ce qu’il s’est passé au stade qu’avec la pseudo union des gauches autour de Mélanchon.

  8. La gauche a fait prendre quelques masure nécessaires mais malheureusement a toujours été à l’origine de tous les excès et de la destruction du pays. Alors est-ce un bien ou un mal ? hélas à y regarder de près sa composante est aujourd’hui de tous les extrêmes les plus hystériques ce qui n’est pas une bonne chose pour l’avenir du pays.

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