« La réédition d’un acte comme celui du 13 novembre est pratiquement devenu impossible »

Deux ans après les attentats du 13 novembre, Xavier Raufer répond à ces deux questions : avons-nous rétabli la sécurité sur le sol français et avons-nous appris de nos erreurs ?

Il fait le point sur le sujet sensible des djihadistes de retour sur notre territoire.

Deux ans après, avons-nous rétabli la sécurité sur le sol français et avons-nous appris de nos erreurs ?

Les Français ont d'abord besoin de savoir si la lutte anti-terroriste va mieux. Oui, c'est le cas sans conteste.
A la direction du renseignement intérieur, pendant toute la période de Hollande, des individus ne voyaient pas le monde tel qu'il était devenu, mais tel qu'eux avaient envie qu'ils soient. Ils avaient envie de traquer des grands seigneurs du salafisme, à la Ben Laden, etc. Ils n'ont pas vu le virage. Ils n'ont pas vu que les ennemis étaient devenus des racailles, des individus perturbés, non pas délirants ou pathologiques au sens psychiatrique du terme, mais des individus très perturbés. Un jour, ils étaient au bistrot et le lendemain à la mosquée. Petit à petit, certains d'entre eux se sont transformés en bombes humaines. Ils étaient auparavant simplement radicalisés, et brutalement sont devenus des gens capables de faire couler le sang. Tous ceux qui ont fait couler le sang en France et en Belgique sont dans cette catégorie-là, c'est-à-dire des individus perturbés, mal dans leur peau, un jour hypnotisés par les formes les plus extrêmes de l'islam et le lendemain buvant de la vodka et sortant en boite de nuit. Ils étaient très dangereux et instables un peu comme de la nitroglycérine. On ne savait pas bien quand ils allaient exploser.
C'est ce virage-là que le renseignement intérieur n'a pas su prendre. A l'époque, les gens qui dirigeaient le renseignement intérieur ont été remerciés et renvoyés à leurs chères études. Ces anciens patrons-là ne sont pas du tout regrettés. Une nouvelle équipe est maintenant en place à la DGSI. Elle a une vision plus réaliste des problèmes de terrorisme tel qu'il est aujourd'hui et tel qu'il va évoluer.
De plus, pour la première fois dans l'Histoire de France, à la présidence de la République, il existe un Etat-major qui coordonne non seulement le travail de l'ensemble des services, mais aussi toute la lutte anti-terroriste.

Néanmoins, de nouvelles problématiques apparaissent, comme le retour des djihadistes notamment. C'est ce que dénonce entre autres Alain Marsaud.

Ce n'est pas un vrai problème. Le vrai problème est que les journalistes et l'ancienne équipe incompétente dont monsieur Cazeneuve et d'autres comme Alain Marsaud tourne en rond en se répétant des choses qui ne sont pas vraies.
On nous promettait des centaines d'islamistes sous Cazeneuve et encore un peu après. Ils disaient: « Oh, mon Dieu, ils vont revenir, il va y avoir une arrivée massive de terroristes venus de la zone des combats ».
A l'époque, les gens que je voyais et qui étaient vraiment dans la lutte anti-terroriste me disaient: « c'est très étonnant, nous ne comprenons pas bien le sens de ces propo s». Naturellement, les islamistes au Moyen-Orient dans la zone Irak/Syrie sont dans une trappe.
Par exemple, à Mossoul, on s'inquiétait de ce que une centaine de combattants « français » allaient devenir. Quand je dis français, en fait il s'agissait de Maghrébins avec des papiers d'identité français partis combattre là-bas. Certes, la ville de Mossoul a été reprise militairement par l'armée irakienne et par ses soutiens, mais une fois que l'armée a eu conquis la ville de Mossoul, elle a laissé le nettoyage à des milices chiites. Je n'ai pas l'impression que les milices chiites aient l'habitude de conserver des prisonniers, surtout lorsqu'il s'agit de salafistes. Il y a donc peu de chances pour qu'ils reviennent. Les enfants reviendront peut-être, mais énormément de combattants sont morts.
Du 1er janvier jusqu'à ce matin, sept combattants sont revenus, pas 300 cents ou 400 cents...

Sans dire qu'il y en a des milliers, certains parlent tout de même d'au moins une centaine de djihadistes rentrés en France !

C'est vrai et faux à la fois.
Ceux rentrés avant étaient rentrés épouvantés, totalement dépressifs ou affolés par ce qu'ils avaient vu. Je peux vous dire qu'ils ont autant envie de reprendre le djihad que moi me faire moine.
Il y a un an, trois djihadistes sont arrivés par la Turquie; ils ont disparu. C'était l'époque où le renseignement intérieur travaillait encore à moitié bien. Ils les ont donc largués. Ce sont les gendarmes qui ont fini pas les arrêter quelque part en Provence. Lorsque les gendarmes sont tombés dessus, les trois djihadistes ont immédiatement demandé aux gendarmes à voir un juge. Ils se sont précipités dans le bureau du juge et parlaient tous en même temps. Ils disaient qu'ils préféraient prendre cinq ans ou dix ans de prison en France plutôt que de retourner un seul jour là-bas.
- « Ne nous renvoyez pas là-bas, c'est terrible, c'est affreux ! », voilà leur propos.
Cette guerre a détruit intérieurement ces gens, c'est pourquoi aucun n'avait envie de la continuer que ce soit sur notre sol ou ailleurs.

Comment les croire ?
Il pourrait s'agir de menteurs professionnels préparant des attentats en France...

Je n'étais naturellement pas dans la pièce. Les magistrats qui les ont vus sont des hommes d'expérience. Les guerriers étaient terrifiés. Ils étaient en train de faire dans leurs frocs. C'est quelque chose qui ne se simule pas.
Qu'un Abdeslam, au calme dans sa prison, sait ce qu'il risque, ruse, temporise, c'est une chose. Mais, ceux-là, à l'idée qu'ils allaient être expulsés de la France et qu'ils allaient se retrouver dans l'enfer d'où ils venaient, je ne pense pas que ce soit simulé.
Énormément d'entre eux sont morts.
Un soldat français d'un régiment des forces spéciales a été récemment tué en Irak ou en Syrie. C'est donc qu'il y était et qu'il y en a d'autres. Ces gens-là observent et parfois peut-être plus. Ce sont des affaires qu'il faut faire et pas forcément dont il faut parler. Ces gens sur places voient ce qui se passe. Ils m'ont dit que ce qui se passait à l'heure actuelle au nord de la Syrie pour les djihadistes est abominable. On ne peut que s'en féliciter.
Beaucoup plus que les bombardements de l'aviation russe, il y a des centaines de canons de l'artillerie lourde sur les fronts. Comme à Stalingrad, les canons tirent 24 heures sur 24. Le résultat de ce qu'on voit en face est absolument terrifiant. Les morts sont très nombreux. Ça ne s'arrête jamais.
La frontière turque est maintenant hermétique. Quand on descend plus bas, ils tombent sur le Liban et sur le Hezbollah qui ne sont pas forcément leurs copains. Quand ils essayent de remonter la frontière vers l'Est, on trouve l'Iran. Le résultat est le même.
Je ne pense pas que les retours seront si nombreux que cela. Ces retours sont maîtrisables.

Si le problème est maîtrisable, il n'est pas forcément maîtrisé.

Avant, il y avait une coordination du renseignement, mais le terrorisme était autre chose.
Aujourd'hui, l'Etat-major coordonne à la fois le renseignement et la lutte anti-terroriste. Tous sont dans la même boutique avec des gens compétents.
On peut donc penser qu'ils maîtriseront mieux ces retours et que la probabilité que ces retours se passent pas est plus faible qu'avant.

Un 13 novembre est-il encore possible ?

Dans les mêmes circonstances, non. En Europe oui. Mais en France, en l'état, la réédition d'un acte comme celui du 13 novembre est très difficile à envisager. C'est pratiquement devenu impossible.
La police, les services et les gens compétents ont maintenant la recette. Ils savent quels sont les symptômes et les gestes préliminaires. Dès qu'un geste préliminaire est soupçonné, on peut y parer.
Ce n'est pas le cas partout en Europe.

En revanche, nous n'avons pas tiré toutes les leçons de ce qui s'est passé le 13 novembre.
Plus le temps passe, plus on se rend compte que cette opération était extrêmement sophistiquée, elle impliquait des dizaines de personnes différentes. Il y avait dans cette conspiration beaucoup de rôles différents pour beaucoup d'individus différents et plusieurs cercles concentriques avec chacun un niveau de connaissances différent. Il serait fort étrange que tout cela ait pu être monté par des demi-débiles qui un jour étaient au bistrot et le lendemain à la mosquée. C'est mon sentiment.
On peut s'interroger sur l'existence d'un commanditaire et sur sa nature.

Donc d'après vous les cerveaux courent toujours et seraient haut placés ?

Si on creuse suffisamment, je croix qu'on finira par tomber sur quelque chose qui n'est sans doute pas très loin du terrorisme d'Etat.

Xavier Raufer
Xavier Raufer
Docteur en géopolitique et criminologue - Il enseigne dans les universités Panthéon-Assas (Paris II), George Mason (Washington DC) et Université de Sciences politiques et de droit (Pékin)

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