C'est entendu : le néologisme « itinérance » était mal choisi. Un pédantisme de communicant de start-up qu'il n'a pas su rayer. Une erreur de débutant. Il a encore beaucoup à apprendre, à vieillir, notre Président. Emmanuel Macron, qui a beaucoup osé, mais qui semble bien moins transgressif depuis ses déboires de l'été, aurait dû prononcer le mot : pèlerinage. C'est bien à un pèlerinage qu'il se livre cette semaine. Et c'est certainement le mot qu'il a à l'esprit. Comme tous ceux qui ont, d'une façon ou d'une autre, une part de leur famille là-bas.

Et son idée de parcourir ces terres de l'est et du nord meurtries, de rappeler telle bataille, telle année de la guerre, tel lieu de mémoire, telle catégorie de combattants, telle personnalité, est remarquable. S'il y a bien un événement qui méritait, dans notre monde du tweet et de l'événement-seconde, ces jours, ces cinq jours pour ces cinq années de conflit, c'est bien la Première Guerre mondiale. Un événement que l'on ne peut embrasser d'un bloc. Un événement qui appelle un « en même temps », et même plusieurs, pour en saisir la démesure : la grandeur et l'horreur, le civil et le militaire, le particulier et l'universel, etc.

Emmanuel Macron est vraiment dans son rôle, toute cette semaine : celui du collecteur de mémoires et du transmetteur, du pédagogue du roman national. Son hommage à Maurice Genevoix sonne profondément juste : juste par rapport à Genevoix, juste pour les poilus, juste pour le génie français, mais aussi juste par rapport au littéraire qu'est Emmanuel Macron. Depuis de Gaulle et Pompidou, on eût aimé voir l'un de ses prédécesseurs entreprendre une telle démarche.

Est-ce parce que j'appartiens à la même génération que lui, celle de ces quadragénaires qui sont, en fait, les derniers héritiers directs de la mémoire vivante de la Grande Guerre ? Et que nous vivons ce centenaire comme celui du passage du témoignage direct au récit historique ? Le Monde rappelait que les quatre arrière-grands-pères d'Emmanuel Macron avaient été mobilisés. Comme les miens. Comme les nôtres. Nous avons vu, enfants, les derniers poilus. Nous avons entendu nos grands-parents nés juste avant, pendant, ou juste après la guerre évoquer tel souvenir de famille. Nos pères portaient parfois le prénom de leur grand-père tombé au front. Nous savons encore dans quel village se trouve le monument qui porte le « mort pour la France » de la famille. Mais après nous ? Le pèlerinage d'Emmanuel Macron est aussi émouvant de cette question existentielle-là que se posent ceux qui, dans cette France qui a depuis longtemps tourné le dos à la Grande Guerre et à ses "valeurs" - depuis 68 -, n'ont pas complètement oublié ni renoncé.

Alors, entendre des retraités en colère venir récriminer sur leur CSG, des automobilistes sur leur plein de carburant, des gens de droite d'ordinaire excédés quand une corporation bloque le pays s'exciter pour le 17, au moment de ce centenaire historique, cela paraissait déplacé, un peu indigne même, par rapport au sort des poilus, à l'enjeu du destin d'une nation, celui d'hier et celui de demain. Et la phrase qui venait à l'esprit, c'était celle de De Gaulle : « Les Français sont des veaux. »

Non pas que ces critiques ne soient pas justifiées. Mais il y a un temps pour tout. Et la grandeur du pèlerinage d'Emmanuel Macron, c'est, justement, de ne pas s'être réfugié dans l'empyrée de la commémoration qui permet de se laver les mains des problèmes de l'heure, comme un François Mitterrand savait très bien le faire, mais d'avoir abordé ces problèmes sans détour, durant son parcours. Il est allé dans ces départements du nord et de l'est en les sachant doublement meurtris, par l'Histoire terrible du début du XXe siècle et par un présent de déclin et de morosité. Il a tenu un « en même temps » qui n'était pas facile.

On peut estimer que sa politique n'est pas à la hauteur des défis actuels du pays, mais on ne peut contester la justesse de la démarche.

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08 novembre 2018 à 9:08

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