Véronique Jacquier : « François Fillon n’aurait pas été présidentiable, il est évident qu’il n’y aurait pas eu une ouverture judiciaire aussi rapide »
L’ancien procureur, chef du parquet national financier (PNF), Éliane Houlette révèle avoir subi des « pressions » hiérarchiques dans la conduite de l'affaire Fillon.
Explications de Véronique Jacquier, auteur de François Fillon, l'homme qui ne voulait pas être président, qui dénonce « une justice aux ordres du pouvoir » et le « deux poids deux mesures » dans le traitement des affaires judiciaires concernant les hommes politiques.
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L’ex-procureur national financier, Éliane Houlette, a assuré avoir subi des pressions dans le cadre de l’affaire Fillon.
C’est une surprise sans en être une. C’est assez surprenant qu’Éliane Houlette emploie le mot pression. Si, vraiment, elle avait subi des pressions, on aurait aimé qu’elle nous le dise avant et qu’elle en fasse une affaire d’État.
À l’époque, d’autres personnes et moi-même alertions sur la célérité du parquet national financier. Dès le 24 janvier, Le Canard enchaîné titrait que Penelope recevait des salaires d’une façon indue. On n’a jamais vu un parquet national financier se saisir aussi rapidement d’une enquête.
À l’époque, cela avait déjà interpellé. Après la campagne, on s'est demandé si la Justice avait vraiment été bien nette dans cette affaire. Tout le monde peut reconnaître la vitesse qu’elle a employée pour « tuer » François Fillon.
Dans mon ouvrage, j’écris qu’on a été extrêmement zélé pour s’occuper de François Fillon. En revanche, on ne l’est pas tellement pour s’occuper de François Bayrou. On attend toujours la mise en examen de Richard Ferrand dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Il y a donc deux poids deux mesures.
Pourquoi est-ce une affaire sans en être une ? Les procureurs sont toujours placés sous l’autorité d’un parquet général. Il n’est pas complètement ahurissant qu’Éliane Houlette rende des comptes à ses supérieurs hiérarchiques pendant la campagne. Il est normal que le parquet sache autrement que par voie de presse ce qu’il en est dans le traitement de François Fillon par le parquet national financier.
Le mini-scandale est ciblé. Éliane Houlette reconnaît qu’elle voulait en rester à l’enquête préliminaire et qu’elle ne voulait pas ouvrir une enquête judiciaire. Le parquet lui a fait comprendre qu’il voulait l’ouverture d’une information judiciaire pour flinguer le personnage, le mettre en examen et pour qu’il ne soit plus présidentiable. Cette Justice n’est plus du tout indépendante. J’ose le dire et on le savait déjà. Ceux qui avaient voté pour François Fillon l’avaient déjà compris. Cela n’enlève rien au fond de l’affaire. Pendant son procès, François Fillon s’est très mal défendu pour expliquer que Penelope avait vraiment travaillé. Il y a donc matière à juger.
Le réquisitoire est vraiment sévère. Deux ans fermes et 350.000 euros d’amende. On verra ce qu’il en est…
Le jugement sera rendu le 29 juin. Cette information pourrait-elle jouer en la faveur du couple Fillon ?
Je ne pense pas. Vous remarquerez que la Justice se montre de plus en plus sévère avec les politiques. Il suffit de regarder le couple Balkany qui écope de prison ferme pour des faits graves. Jusqu’à présent, on n’allait pas en prison pour de telles affaires. On était démuni de son patrimoine et on payait de fortes amendes, mais on ne passait pas par la case prison.
Le fait d’écoper de deux ans ferme fait qu’il pourrait en théorie ne pas faire. Y a-t-il, dans le réquisitoire, une certaine mansuétude de la part des magistrats pour qu’il garde la face ? C’est tout de même un ancien Premier ministre. Nous ne sommes pas dans le secret des dieux.
Si on regarde les faits, il est quand même normal que la Justice se montre assez sévère.
Pendant vingt-cinq ans de vie publique, cet homme a salarié sa femme sur des deniers publics et il n’a pas été en capacité de prouver qu’elle travaillait vraiment. Ses explications étaient un peu tirées par les cheveux. Il expliquait qu’elle était attachée parlementaire et payée à Paris alors qu’elle ne mettait jamais les pieds à l’Assemblée nationale. Il lui demandait de jouer un rôle dans la Sarthe.
Elle-même, devant les juges, a eu beaucoup de mal à se défendre. Cette épreuve a été assez terrible pour elle. S’il est jugé sur les faits, malheureusement, les juges risquent d’être logiquement sévères.
A posteriori, on peut se demander si les Français sont en capacité d’élire Président un homme qui, pendant trente ans de vie politique et de vie publique, a salarié sa femme avec l’argent public.
Que dirait-on si un autre homme que François Fillon se comportait comme cela ? Tout le monde lui jetterait l’opprobre.
Quand François Fillon est sorti de son silence, il restait dans le déni par rapport à toutes ces questions-là. C’est un grand orgueilleux. Il est encore blessé qu’on ne l’ait pas laissé aller au bout de sa campagne présidentielle.
Dans mon livre François Fillon, l’homme qui ne voulait pas être président, j’explique qu’il s’est très mal défendu parce qu’il n’est pas un guerrier. À partir du moment où les épreuves sont arrivées et qu’il a fallu combattre, il n’y avait plus personne. Vous remarquerez que, sur les réseaux sociaux, ce sont les derniers militants fillonistes qui réagissent. Officiellement, il n’y a aucun filloniste historique qui prend la défense de François Fillon.
Est-ce la guerre entre « les juges et les politiques » ?
Je ne pense pas que cette guerre soit propre au macronisme. Souvenez-vous, Nicolas Sarkozy avait eu le malheur de traiter les magistrats et de dire qu’ils étaient tous alignés comme des petits pois. Cela ne leur avait d’ailleurs pas plu du tout. Ils ont pris un certain plaisir à s’occuper tout particulièrement de Nicolas Sarkozy. Rappelons qu’à chaque fois, il bénéficiait de non-lieu dans toutes les affaires auxquelles ont l’avait mêlé. Cette guerre ne date pas d’aujourd’hui.
En travaillant sur mon livre et sur François Fillon, j’ai compris que les magistrats revendiquent une indépendance de la Justice qui fait qu’ils n’hésitent plus à s’immiscer dans une campagne présidentielle comme celle de François Fillon pour dire « nous sommes les patrons, si ce gars-là n’est pas net, c’est à nous de le faire savoir ».
Je pense que la Justice se met toujours du côté du pouvoir, surtout quand il est exercé depuis l’Élysée. On laisse toujours tranquille un François Bayrou ou un Richard Ferrand.
Ces choses-là se sont faites au moment de l’affaire du sang contaminé. Dans cette affaire, il n’y avait pas eu de fortes condamnations. À part Edmond Hervé, tout le monde avait bénéficié d’un non-lieu, y compris Laurent Fabius.
Je ne pense pas que la Justice soit en guerre contre le pouvoir. En revanche, je pense que la Justice est toujours aux ordres du pouvoir, tout en revendiquant de plus en plus une indépendance. Les Français n’ont plus confiance. Voilà tout ce qu’on a récolté.
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