UNEDIC et Conseil d’État : les juges s’invitent dans la réforme

La réforme des allocations de l’UNEDIC était une promesse du candidat Macron. Après deux ans d’âpres négociations, et comme le patronat et les syndicats n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord, le gouvernement a imposé sa réforme, qui induit une baisse des indemnités versées et est moins favorable aux travailleurs ; le but est de traquer ceux qui « profitaient du système avec l’ancien système », c’est-à-dire ne travaillaient que six mois par an en intérim tout en bénéficiant d’un revenu constant grâce aux allocations chômage. D’une manière générale, cette réforme est censée inciter ceux qui perdent leur emploi à retrouver rapidement du travail. En contrepartie, les entreprises qui abusent des CDD doivent être taxées. Mais cette partie de la réforme visant les employeurs par le gouvernement a été suspendue jusqu’au 1er septembre 2022 alors que le volet concernant les employés devait entrer en vigueur le 1er juillet 2021. Or, le Conseil d'État, dans une décision surprenante, vient de suspendre le nouveau calcul, défavorable aux salariés, du montant des allocations journalières.

Il avait déjà, en 2020, recalé le dispositif, mais pour un motif qui juridiquement se tenait, puisque deux salariés dans des conditions presque identiques pouvaient toucher des allocations différentes. Le gouvernement avait alors revu sa copie et supprimé les dispositions non conformes, mais là, le Conseil d'État s’affranchit de toute justification basée sur le droit. Il s’appuie sur le fait que le pouvoir pratique le deux poids deux mesures envers les employeurs et les employés, puisque les premiers ne seront pas immédiatement taxés sur les CDD trop nombreux. Cet argument au point de vue du droit est faible, puisqu’il ne s’agit pas de catégories sociales comparables. En réalité, le Conseil d'État a suspendu la reforme surtout parce que, selon lui, le contexte économique ne se prêtait pas à une modification de l’assurance chômage. Il a reproché au gouvernement d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant mal l’impact économique de sa réforme.

Cette décision est grave et peut-être anticonstitutionnelle, puisque des juges, non élus, se sont invités dans la rédaction des lois, violant de ce fait la séparation des pouvoirs. Qu’on trouve la réforme bienvenue ou injuste, le gouvernement avait toute légitimité pour décider, et lui et le Parlement sont en théorie les seuls habilités à mettre au point des règles du moment que les personnes à qui elles s’appliquent sont toutes traitées de la même façon. En aucun cas un juge, encore une fois non élu, ne peut suspendre une loi ou un décret, si on excepte le Conseil constitutionnel. Et encore ce dernier ne se prononce-t-il pas sur le fond des lois mais sur leur conformité ou non à la Constitution, puisque les textes fondamentaux priment sur tous les autres.

Pour l’instant, le Conseil d'État n’a pris qu’un jugement en référé, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un jugement sur le fond. Il s’est borné à prendre une décision de suspension en attendant de se prononcer définitivement dans quelques mois. Le gouvernement se veut optimiste, il affirme que la réforme n’est qu’ajournée et qu’elle finira par entrer en vigueur. Les syndicats, eux, pavoisent.

Christian de Moliner
Christian de Moliner
Professeur agrégé et écrivain

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