[Une prof en France] Abaya : beaucoup de bruit pour rien

ATTAL

Les choses sérieuses commencent. Qu'on se le dise ! Le Président et son ministre viennent d'ouvrir les yeux sur la situation scolaire. On ne leur avait rien dit, avant ? On leur cache tout, on leur dit rien ? Mais maintenant qu'ils savent, Tintin et Mortimer vont passer à l'action, et on va voir ce qu'on va voir. Entre rodomontades et effets de manche, c'est une rentrée musclée qui se prépare et les directeurs, en bons petits soldats de la République, se mettent en ordre de marche et se préparent à agir. Enfin… ils attendent quand même la circulaire qui précisera un peu les choses. Car à y regarder de près, ces choses sont moins claires que les déclarations médiatiques et les commentaires des commentateurs qui commentent depuis leurs plateaux télé.

Nous avons donc fait notre prérentrée ce matin. La directrice a parlé pendant deux heures avant d'aborder le sujet de l'abaya, à tel point que nous avions presque oublié que c'était un des sujets sensibles de la rentrée. Et le soufflé est retombé très vite. On se rend compte, en effet, que rien n'est réellement mis en place pour que quoi que ce soit puisse être appliqué de manière ferme. Les documents publiés à ce jour, à savoir le BO (Bulletin officiel) du 31 août 2023 et la note intitulée « Accompagner la conduite de l’action des chefs d’établissement en cas de port de tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse », sont assez flous et nous laissent en première ligne, sans armes ni munitions.

Si une élève se présente revêtue d'une abaya, que devons-nous faire ? Tout d'abord et essentiellement « rappeler le cadre général », qui est celui de la loi du 15 mars 2004 inscrite dans le Code de l'Éducation à l'article L-141-5-1 et dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas été vraiment appliquée jusqu'à aujourd'hui malgré son grand âge.

Une fois effectué ce rappel à la loi, nous devons « organiser le dialogue ». « Ce dialogue peut en effet, dans un grand nombre de cas, résoudre les tensions et dissiper les incompréhensions. Lorsque celles-ci persistent à l’issue de cette première phase de dialogue, il convient de nouer un échange approfondi avec les parents, le cas échéant avec le soutien des EAVR, qui pourront être mobilisées. » Les EAVR, ce sont les équipes académiques valeurs de la République, des brigades d'action rapide dont le simple nom fait trembler dans les quartiers, et qui réunissent la force de frappe de Wagner et des Khmers rouges… « Cette phase de dialogue est également l’occasion de rappeler aux élèves ainsi qu’aux parents les règles en vigueur, le sens de ces dispositions, et de leur expliquer en quoi le respect de la loi n’est pas un renoncement à leurs convictions » : « Au contraire, cette disposition a pour objet de protéger l’égalité de tous indépendamment de leur croyance et la liberté de conscience. » On va donc faire de la pédagogie et expliquer aux élèves et aux familles, qui ne savaient certainement pas très bien ce qu'ils faisaient, qu'on les respecte et qu'on ne veut en rien attenter à leur liberté de conscience.

Je suppose qu'une petite note complémentaire nous rappellera, pour le cas où nous voudrions faire comme si nous l'avions oublié, que ces élèves sont sous obligation scolaire, que l'éducation est en outre un droit dont on ne saurait les priver, même ponctuellement, et que nous devons donc les accepter en classe pendant que leurs parents discutent avec la direction et le référent laïcité - le jour où il sera nommé, car pour l'instant, dans notre établissement, il n'y a pas eu de volontaire…

On doit ensuite « caractériser les intentions de l'élève à partir de son comportement » : « Le chef d’établissement interroge l’élève sur ses représentations, ses motivations, sa connaissance du règlement intérieur et de son sens et lui demande d’expliquer ses comportements. […] Pendant le dialogue, l'institution doit veiller à ne pas heurter les convictions religieuses de l'élève ou de ses parents. Pour déterminer si le port du signe ou de la tenue est compatible avec les dispositions de l’article L. 141-5-1 du Code de l’Éducation, il appartient au chef d’établissement de s’interroger sur l’intention de l’élève de lui donner ou non une signification religieuse. » Vous sentez l'enfumage ?

C'est après tout cela, seulement, que l'on peut envisager d'engager une procédure disciplinaire…

Alors, on entend Shakespeare murmurer : « Je m'étonne que toi, […] tu essaies d'appliquer un remède imaginaire à un mal incurable… » (Beaucoup de bruit pour rien).

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

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