Un numéro et un nom de rue pour chaque maison : c’en est fini de la déconnexion

@Lawrence Hookham/unsplash
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Nos campagnes, nos hameaux, nos villages… ces derniers espaces de poésie et de liberté échappaient encore à la folie des chiffres, des cartes et des codes. On gardait dans ces déserts presque inhabités de la France profonde, dans cette diagonale du vide des bouseux arriérés, le dernier luxe des temps modernes : la possibilité de se perdre. Le droit à la déconnexion. Un confinement sans Covid. Les antennes-relais ne passaient pas, les zones restaient blanches et le GPS vous faisait aboutir à un improbable chemin de terre obligeant la voix numérique à vous inviter à faire demi-tour… Des chemins noirs à la Sylvain Tesson, des retours à l’envoyeur et autres « n’habite pas à l’adresse indiquée ».

 

La loi 3DS

 

Depuis le 1er juin, ces villages d’irréductibles si chers à notre esprit français, c’est fini. En tout cas, en principe. Au chant du coq a succédé le chant du cygne. La start-up nation a étendu son empire numérique au nom du progrès : en vertu d’une loi votée il y a deux ans par le Parlement macronien, qui entre aujourd’hui en application, la loi 3DS (comme différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification), chaque coin le plus reculé de France devra avoir son adresse et son numéro. Ce qui échappait encore à la loi de l’étiquette se trouve oblitéré, consigné, fiché. Souriez, vous êtes pucé ! Pour quel motif ? Pour votre bien, votre santé, votre survie ! Car c’est bien cela, le motif affiché, c’est par principe d’humanité, comme disaient les colonnes infernales en Vendée, au nom du bien que cette mesure est prise : comment venir en aide à ceux qui n’avaient pas d’adresse ? Comment envoyer les secours à ceux qui échappent aux satellites ? Comment entendre le SOS de celui qui n’a pas de GPS ? À chaque lieu une adresse, donc, puisque c’en est définitivement fini de la solidarité de visage à visage, de village à village. Devenus anonymes les uns aux autres, il nous fallait bien un numéro ! « C'est une autre vision du territoire. Parce qu'en gros, les facteurs, c'étaient des gens du village, du pays, c'est comme ça qu'on les recrutait », estime le sociologue Jean Viard qui fut, au passage, candidat (malheureux) macroniste aux législatives de 2017 dans une circonscription très rurale de Vaucluse , poursuivant son analyse : « Là, c'est en train de disparaître, personne ne me demande plus rien. Pourquoi on a fait ça ? Parce qu'on est entré dans la civilisation de la livraison, et justement, pas par des gens du coin. »

 

C'est le hameau qui perd son caractère

 

Voici donc la vie nouvelle de nos campagnes : déjà, au pays, pour aller voter, on s’étonnait que le maire qui nous connaît depuis toujours exige notre pièce d’identité :
- « Bah, tu sais bien qui je suis, pourquoi tu veux ma photo ?
- Désolé Hubert, c’est le règlement, tu peux pas voter si j’ai pas ton identité ! »

Puis il y a eu les noms de village. Un exemple, entre Poitou et Anjou : Bouillé Saint-Paul, à la consonance qui sentait bon le pot-au-feu et la fête paroissiale, on a préféré Val en Vignes, au moment de la fusion des communes. Plus grand, plus moderne, plus chic. La géographie à la place de l’histoire. La nature à la place de la culture. Le territoire à la place du terroir.

Et, désormais, c’est le hameau qui perd son caractère, son histoire, sa liberté : on n'ira plus chez le père Hubert, au lieu-dit La Lardière ou à la patte d’oie à gauche... Non, il faudra que la mairie installe la plaque d’une rue imaginaire et le numéro pour chaque maison de chaque hameau. Ce qui, bien sûr, aura un coût... Amis de la poésie, bienvenue dans nos bourgs aux faux airs de Paris : oui, la fermette du bout du monde n’est plus celle d’un rat des champs mais d'un rat des villes, rendez-vous au 1866, rue des Primevères…

Picture of Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

22 commentaires

  1. Je ne suis pas d’accord avec vous, moi, je n’aime pas me perdre dans les chemins de campagne !, Il y a 40 ans on pouvait toujours s’arrêter au bistro du coin pour demander, mais maintenant le « quoi ? » du coin ? Cherchez donc une adresse de nuit sous la pluie!!!!! Si vous avez envie de vous perdre, qui vous en empêche?? il vous suffira de ne pas regarder les panneaux ! Mais les livreurs, comment font-ils ? déjà qu’on reproche aux facteurs de ne pas monter les colis, là, ils ont une excuse : adresse introuvable !

  2. En principe, une simple connexion internet ne devrait gêner personne. A condition que cela s’arrête là

  3. Comme le dit l’article, ne n’est pas pour la tournée du laitier mais pour la course des camionnettes blanches qui livrent pour Amazon ou autre du genre…

  4. Désolé, mais vous dites n’importe quoi. Cela n’enlève strictement rien à ceux qui vivent dans ces lieux bucoliques qui pourront continuer de les appeler lieu-dit machin chose. Et cela va changer la vie de tous ceux qui doivent s’y rendre : famille, amis, livreurs, Poste… On se plein de l’enclavement des zones rurales mais pour avoir eu pendant 15 ans une adresse introuvable par les livreurs, je me réjouis de cette décision.

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