Trois mois pour réformer la santé

Certains qualifient l'exercice présidentiel d'Emmanuel Macron de "jupitérien". Pour Édouard Philippe, ce serait plutôt à Hercule qu'il conviendrait de faire référence, puisque à l'occasion d'une visite mardi dernier à l'hôpital d'Eaubonne, notre Premier ministre annonçait se donner trois mois pour réformer le système de santé ! Ou, plus modestement, pour "y réfléchir intensément". Vu la complexité du dossier, cela paraît effectivement un minimum… Et avec la floraison des #BalanceTonHosto, d'infirmières en burn out, d'internes qui se suicident, des personnels des EHPAD au bout du rouleau, il était opportun de calmer le monde la santé.

Les priorités annoncées sont la qualité et la pertinence des soins, les modes de financement, le numérique, la formation et les ressources humaines, et enfin l'organisation territoriale. En résumé, la plupart des thèmes ressassés par tous les ministres de la Santé depuis des décennies… Il n'y manque même pas la "forte incitation à la médecine ambulatoire", laquelle a une sérieuse barbe blanche et permet, depuis longtemps, à des opérés semi-conscients de se retrouver sur le trottoir de l'hôpital, au coucher du soleil, à attendre le taxi sous la pluie avec des tuyaux partout. Un superbe progrès !

La seule vraie nouveauté, c'est la prétention de planter le décor en trois mois de concertation "à plusieurs niveaux", à boucler avant les vacances. Et fini les "rafistolages" : place à une réforme "globale" du système de santé. Travail d'Hercule ou de… Merlin l'Enchanteur ?

Prenons l'exemple du dossier médical partagé (DMP). Voté sous Raffarin par une loi de 2004 et mis réellement en chantier en 2006, il s'agit d'un super carnet de santé dématérialisé, espace de stockage de données de santé personnelles sécurisé. Le but étant d'éviter les examens redondants et de permettre l'accès rapide à un dossier médical complet, pour les soins de tous les jours comme en cas d'urgence. Onze ans et un milliard d'euros plus tard à se concerter, avec audits, études, commissions et indicateurs sur que faire figurer sur un DMP ? Qui peut y accéder ? Qui le conserve ? Quelle sécurisation ? Etc. On en est à peine à quelques centaines de milliers sur soixante millions d'assurés sociaux, dont un tiers seulement ont ouvert un compte Ameli. Ce genre d'expérience, sur un sujet pourtant très limité, devrait raisonnablement inciter le Premier ministre à mesurer ses prédictions. D'autant que l'envie de parquer les médecins libéraux (dont 80 % exercent de façon isolée) dans ces fameuses "maisons de santé pluridisciplinaires", ajoutée au désir d'en finir avec le payement à l'acte - ce qui suinte clairement du discours ministériel -, mettent déjà les syndicats médicaux vent debout…

À côté des tâches régaliennes dont l'État a le monopole (armée, police, etc.), il faut se souvenir que le domaine de la santé est celui où il a aussi – tous partis confondus - la mainmise sur presque tout depuis plus d'un demi-siècle. Et que, si nous sommes encore à peu près bien soignés, ce n'est que grâce à l'infinie patience des professionnels de santé et, ne l'oublions pas, grâce un apport étranger honteusement exploité…

Le succès pour le moins mitigé de la gestion publique de la santé devrait inciter à desserrer la laisse. Mais, visiblement, ce n'est pas encore ce gouvernement-ci qui en prend le chemin.

Richard Hanlet
Richard Hanlet
Médecin en retraite, expert honoraire près la Cour d'appel de Versailles

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