[Tribune] « Il faut aménager les conditions de la légitime défense »

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Un véritable cauchemar. C’est ce qu’ont vécu plusieurs policiers, un soir d’octobre 2016 : alors qu’ils assuraient la mission de sécurisation d’une caméra de vidéoprotection à Viry-Châtillon, quatre agents de police ont subi une attaque au cocktail Molotov.

Dans ce face-à-face avec leurs assaillants, deux d’entre eux ont été brûlés au troisième degré et garderont à vie des séquelles physiques et psychologiques. Alors que leur vie ne tenait qu’à un fil, ces policiers, qui se trouvaient pourtant en situation de riposte excusable, ont préféré ne pas faire usage de leurs armes de service plutôt que d’avoir à endurer une exposition médiatique et politique impitoyable qui les aurait accablés de tous les maux. Derrière ce fait devenu malheureusement banal se cache une triste réalité : l’inadaptation du cadre légal de la légitime défense qui fragilise nos forces de l’ordre au lieu de les protéger.

Confrontés à l’apathie politique quasi générale, plusieurs syndicats de police dénoncent, avec courage et lucidité, une situation insensée, déplorant, à juste raison, que la peur ait changé de camp :

« Avant, quand ils [les délinquants] étaient pris, ils levaient les bras et acceptaient d’avoir perdu.

Aujourd’hui, ils nous tirent dessus » (Libération, 11/3/2016).

En vingt ans, les violences contre les forces de l’ordre - devenues la cible de prédilection des délinquants - ont doublé (Le Monde, 22/2/2021) et, avec elles, celles dirigées contre les personnes dépositaires de l’autorité publique.

En réponse : des mots, encore des mots, toujours des mots, mais aucun acte.

Une solution existe, pourtant, qui serait d’un secours certain pour nos policiers et gendarmes : aménager les conditions de la légitime défense.

Dans le régime actuel, l’article 122-5 du Code pénal ne permet d’écarter la responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction que si cette dernière a été commise en réponse immédiate à une atteinte injustifiée, pour autant que ne soit pas constatée « une disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».

Malgré l’assouplissement de ces dispositions, intervenu avec la loi du 28 février 2017, la situation n’a cessé de se dégrader : tandis que la police a dû se résigner à ne pas faire usage de ses armes - le recours aux armes à feu a diminué de 29 % entre 2017 et 2019 -, les enquêtes internes ont, elles, augmenté de 19 % entre 2018 et 2019 (Le Monde, 11/3/2021), contribuant à donner aux forces de l’ordre un sentiment d’abandon que d’aucuns expriment par ces mots : « Si ça tourne mal, on ne sera pas soutenu administrativement et judiciairement. »

La détresse morale que vivent nos policiers n’est jamais que l’arbre qui cache la forêt ; elle est révélatrice d’un mal plus profond encore qui se répand, lentement mais sûrement, dans notre société, celui de Français de plus en plus démunis face à une criminalité grandissante (+12 % de faits de violences volontaires entre 2020 et 2021, Les Échos, 27/1/2022). Eux aussi sont bien souvent paralysés, incapables de réagir devant la violence qu’ils subissent au quotidien dans les rues et jusqu’au cœur de leur foyer parfois, par crainte de finir dans le box des accusés.

L’affaire d’Alexandra Richard en est la parfaite, bien que cruelle, illustration : celle-ci a été condamnée à dix ans de réclusion criminelle en 2020 pour avoir tué son mari alors qu’il l’avait menacée de mort et l’avait battue au moment des faits, le bénéfice de la légitime défense ne lui ayant pas été accordé, faute d’une riposte graduée à l’atteinte.

Comment peut-on exiger d’une personne en situation de péril, impliquant stress intense et angoisse de mort imminente, de répondre rationnellement à une attaque contre son intégrité corporelle ?

C’est pourtant précisément ce que la loi demande au juge, faisant, trop souvent, fi des réalités et s’enfermant ainsi dans une abstraction inique. En effet, en raison du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, les magistrats ne sont que « la bouche de la loi » et ne peuvent y insérer des critères qu’elle ne prévoit pas ; ils ne peuvent non plus étendre les cas de présomption de légitime défense prévus à l’article 122-6 du Code pénal.

Dans ces conditions, l'agresseur dispose malheureusement d’un triple avantage sur sa victime : il détermine le lieu, le moment ou les moyens de son méfait, tandis que la victime ne fait que les supporter, seule et impuissante, sans que son état psychologique paraisse jamais jouer sur la sanction prononcée.

Stéphane Turck, autrement connu comme le « bijoutier de Nice », a fait les frais d’une telle rigidité légale, lui qui a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner. S'il est vrai que la peine a été intégralement assortie du sursis, il n’est pas moins vrai que la psychologie de celui-ci au moment des faits ne paraît pas avoir été réellement prise en compte dans la détermination du caractère légitime de l’acte de défense.

Pourtant, le droit de se défendre est un droit naturel dont dispose chaque homme, duquel découlent beaucoup d’autres droits fondamentaux. Si, dans notre société, le monopole de la violence légitime a été confié aux forces de l’ordre, il l’a été par les citoyens et pour que fût assurée leur sécurité. Bien qu’il ne soit pas possible de faire justice soi-même, la police ne pouvant malheureusement pas intervenir en tous lieux sur le territoire français, les citoyens sont parfois contraints, à leur corps défendant, de reprendre ce droit pour leur propre survie, que les dispositions actuelles en matière de riposte neutralisent trop souvent.

Il est donc plus que jamais nécessaire et urgent d’adapter les dispositions légales sur la légitime défense à la réalité que vivent les Français, et ce, afin de donner aux juges la possibilité de prendre en compte l’état émotionnel et psychologique de la victime au moment des faits.

Pour ce faire, le législateur pourrait s’inspirer du droit suisse qui ajoute aux éléments constitutifs prévus par le Code pénal français deux spécificités : la condition psychologique de la victime et l’état exonératoire d’excitation que cette dernière subit du fait de l’attaque (article 16 du Code pénal suisse). Il en est de même pour le droit allemand qui inclut « le désarroi et la terreur » dans l’appréciation de la légitime défense (article 33 du Code pénal allemand).

Plusieurs experts de la sécurité l’y exhortent, à l’instar de Thibault de Montbrial, conseiller « régalien » de Valérie Pécresse, laquelle eût été d'ailleurs bien inspirée de reprendre la proposition de son conseiller. Pour l’heure, à droite, seul Éric Zemmour a fait sienne cette idée ; Marine Le Pen ayant, pour sa part, souhaité s’en tenir à l’établissement d’une présomption de légitime défense au bénéfice des forces de l’ordre, mesure nécessaire mais malheureusement insuffisante à notre sens.

Pourtant, plus qu’aucune autre, la campagne présidentielle de 2022 devrait être l’occasion pour les candidats de s’emparer de ce sujet crucial afin de permettre, enfin, aux Français de n’être plus à l’étroit, coincés entre l’enclume de la violence et la crainte du marteau de la Justice.

Guillaume Leroy, doctorat en droit pénal et chargé d'enseignement (université de Paris)

Loïc Lerate, avocat au barreau de Paris

Vos commentaires

29 commentaires

  1. Les États s’autorisent la « légitime attaque » mais refusent à leurs peuples la « légitime défense ». Vivement ZEMMOUR.

  2. La racaille compte, pour le moment à juste titre, sur le laisser-aller des instances européennes, ce qui explique la progression inquiétante de toute cette délinquance.
    Qui aura le courage de prendre des décisions « visibles » pour faire changer la peur de camp ?
    That is the question.

  3. Des élections importantes arrivent à grands pas…..Alors souvenez vous des 40 ans de laxisme judiciaire qui ont conduit la France dans ce chaos ……et votez en connaissance de cause ! Français réveillez vous !

  4. Il y a des dispositions dans la loi Suisse, qu’il suffirait de copier. Mais surtout, il faudrait faire passer en Cour d’Assise, ceux qui attaquent les policiers avec des cocktails Molotov ou des mortiers d’artifice en manifestant leur volonté d’homicide. Et la consommation de drogue devrait être une circonstance aggravante, pas une excuse.

  5. Il faut doter la police de  »riots guns »* plus dissuasifs et létaux que si on vise haut : de la chevrotine dans le bas du corps est plus dissuasif ! Et face à un groupe hostile n’en parlons pas !
    * fusils de chasse à canon court et à répétition (à pompe) jusqu’à 10 coups

  6. Le plus gros problème dans cette histoire est le juge. Il doit dire le droit et non comme il le fait toujours l interpréter en fonction de ses convictions personnelles. Ajoutez à cela ce que j’ ai entendu une fois: la peine de mort a été abolie ce n’est pas aux force de l ordre de q y substituer… Quand un juge dit ça vous savez exactement à quoi vous attendre en cas de tir. Tant qu une partie trop importante de la justice sera politisée a gauche de la gauche…

  7. Un policier me disait il y a peu lors d’une discutions sur les armes. «  on a des glocks et des chargeurs mais on n’y touchera jamais «  j’en déduis que ces armes scellées a l’etui Seraient plus économiques en n’ayant pas été achetées. Je constate donc que pour ma défense un policier devra tellement réfléchir aux conséquences de son acte que je serai mort à l’heure de la décision.

  8. La seule chose qui peut faire reculer les « délinquants » c’ est d’ accorder en permanence aux policiers une « légitime défense prématurée « , bien avant que le danger soit perçu ..

  9. Il serait grand temps de se pencher sur la prise en compte de la détresse des victimes plutôt que sur celle des criminels barbares ! Qui sème le vent récolte la tempête ! Et arrêtons de trouver des circonstances atténuantes de troubles psychiatriques liés à la consommation de drogues illicites. Ou alors, proposons donc l’euthanasie à ces grands malades dangereux pour les innocents …

  10. Il faut arrêter les congestions mentales sur ce point ! Tu m’agresses, ou tu rentres chez moi, sans mon autorisation, j’ai le droit par tous les moyens de me défendre et de défendre mon bien ! Et c’est tout !

    • Même pas besoin d’une arme de telle ou telle catégorie. Un simple crayon de papier, un stylo, une carte bleue cassée en biais ou une magazine roulé serré, voire un parapluie, peut s’avérer très utile pour stopper net une agression. Evidemment, il ne faut pas craindre le corps à corps. Bon, si l’agresseur tient un gun, se planquer et filer ventre à terre, hélas.

    • bienvenue dans « mon » club. ma réponse n’étant pas de tendre la joue une deuxième fois.
      si on rentre sans autorisation chez moi, on ressortira sans déclaration d’amour. il ya des fois ou on tire et après on fait les sommations. actuellement il vaut mieux être con que mort

    • Il faut gardes une proportionnalité entre la faute et la riposte, mais le tribunal doit simplement pouvoir appliquer la loi sans laxisme et sans limitation du nombre de places de prison.

  11. Il faudra aussi assouplir les règles de détention d’un fusil de chasse de son grand père

  12. Pourquoi évoquer l’affaire Alexandra Richard qui n’a rien à voir avec la légitime défense ? Cette dame a froidement assassiné son mari d’un coup de fusil et sa version donnée sur un acte accidentel qui n’a convaincu personne lors des deux procès. Le texte de l’article 122-5 du Code pénal est tout à fait suffisant et aurait permis aux policiers attaqués de répliquer par des tirs de neutralisation.

  13. Les auteurs proposent des pistes de solution pour redresser nos lois et système judiciaire MAIS rien ne changera car nos dirigeants sont ligotés par l’état de droits actuel et les ententes au niveau de la CE et la CEJ. Le citoyen craignant aussi un état policier préfère le statut quo. Il râle mais ne soutient pas ceux et celles qui exigent des réformes. Nous choisissons la bienpensance et la culture de l’excuse plutôt que de voir la réalité en face. Ça s’appelle le désarmement moral.

    • AUCUNE mesure visant à améliorer la sécurité des citoyens ne passera le filtres des cinq cours: Conseil d’Etat, Cour de Cassation, Conseil constitutionnel, Cour de Justice européenne, Cour européenne des Droits de l’Homme. Si les trois premières peuvent être rendues muettes par un référendum, les deux dernières ne pourront être neutralisées que par un conflit avec la Commission européenne pour la première, le Conseil de l’Europe pour la seconde. Qui s’y risquera?

      • Un seul candidat pourrait tenter l’opposition, mais la majorité des Français préfère le ronronnement des institutions européennes et se laisse endormir croyant être en sécurité. Si un jour réveil il y a, la chute sera dure.

  14. Je trouve ces « tribunes collectives » bien dangereuses et pourtant j’ai été dans ma carrière menacé de mort par de vrais terroristes, ce qui n’a pas empéché l’Etat de me désarmer au nom du décret de novembre 2005 de sarkozy. Pourquoi limiter la légitime défense qu’aux forces de l’ordre (rappelez-vous les GJ éborgnés) ? Tout citoyen a le droit de défendre sa vie et celle des siens, que l’on autorise la vente libre des armes, le rétablissement de la peine de mort, et la Paix reviendra !

    • Avec cette solution, les risques de dérapage sont trop importants. Accorder à la police et aux magistrat de faire sereinement leur travail serait, à mon, sens suffisant.

  15. On vit dans un pays ou les racailles ont tous les droits , ou les victimes doivent subir faute de quoi elles seront sévèrement punies . Voilà ou nous a mené la politique de ces élus depuis plus de 40 ans .Plus une ville , plus un village épargné par ces délinquants , jusqu’à quand laisseront nous faire .

    • « jusqu’à quand laisseront nous faire « jusqu’à l’insupportable. Mais avant de l’atteindre il faudrait convaincre énormément de frileux qui tant qu’il n’auront pas subit, dans leur chair, l’abomination continueront de vivre la tête dans le sable.

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