[STRICTEMENT PERSONNEL] Quand l’Allemagne coupe l’herbe sous le pied des marchands de chanvre

Dominique Jamet

L’alcool tue. On le sait, de reste. Le tabac tue. On a fini par le comprendre. Les victimes, a priori consentantes, de ces deux ennemis qui sont censés nous faire du bien encombrent, aujourd’hui comme hier, les hôpitaux et s’entassent dans les cimetières, plus vite et plus tôt qu’elles le devraient. A-t-on jamais, pour autant, sérieusement envisagé de les interdire ? Ces deux poisons perfides sont intimement associés à notre Histoire, à notre culture, à notre civilisation même ; le premier depuis… toujours, le second depuis quelques siècles. On notera, cependant, qu’on ne boit plus comme au temps de L’Assommoir et que les monstres sacrés du cinéma ne fument plus cigarette sur cigarette, à la Humphrey Bogart, ni à l’écran ni dans la vie. La raison, l’information, l’obsession de la diététique, accessoirement la hausse constante du prix du tabac, ont débouché sur un modus vivendi acceptable. Alcoolisme et tabagisme, qui posent assurément un problème de santé publique, ne sont plus les fléaux sociaux et nationaux qu’ils purent être il n’y a pas si longtemps.

Il n’en est pas de même d’autres formes de toxicomanie. Lorsqu’au tournant des années soixante et soixante-dix, commença de déferler sur nous la vague de la « drogue », pour employer le terme générique qui confond dans le même mot et le même flou des produits très différents les uns des autres, la première réponse des démocraties occidentales, et trop souvent leur seule réaction, fut, comme dans les années 1930 aux États-Unis sous régime sec, la condamnation, la répression, la prohibition.

L'échec de toute prohibition

Même erreur, conséquences analogues. Lorsque se manifeste puis se développe – ce qui était et demeure plus que jamais le cas – une demande forte à laquelle ne répond aucune offre légale, autorisée ou tolérée, c’est tout naturellement le crime organisé qui prend en main une clientèle objectivement, parfois même consciemment complice d’une transgression qui ne peut trouver satisfaction que dans sa participation à un délit. La prohibition générale de la drogue a fait de la planète un gigantesque Chicago sur lequel règnent des clones d’Al Capone à qui leurs gigantesques revenus - ce pactole souterrain qui échappe largement aux évaluations, à l’imposition, à la confiscation - confèrent une influence, un pouvoir, des moyens de corruption, de chantage dont n’avaient jamais disposé les minables Scarface en chapeau mou, gagne-petit de fusillades artisanales magnifiées par les premiers films parlants en noir et blanc.

Des pays entiers, et pas seulement les confettis de l’Amérique centrale mais de grandes puissances, sont devenus des narco-États. Ainsi du Panama, de l’Équateur, ainsi du Mexique où les mafias de la drogue - infiltrées dans la police, la justice, l’administration, les élections locales, les coulisses du pouvoir - terrorisent les médias, les populations, les gouvernements, corrompent, assassinent et massacrent en toute impunité. Sauf à espérer un sursaut quasi miraculeux comme celui qui a vu la population du Salvador soutenir le président courageux qui a osé déclarer, puis faire, la guerre au crime triomphant sans se laisser intimider par les critiques que lui adressent les défenseurs des droits de l’homme et de l’assassin.

Nous n’en sommes pas là en France, dira-t-on. Et de citer en exemple les opérations de police annoncées en fanfare et menées à grand bruit dans les cités gangrenées par le trafic et les trafiquants de substances interdites et néanmoins disponibles à tous les coins de rue. Voire… Le bilan des prises effectuées et des suites données aux quelques interpellations réalisées est dérisoire, au point que l’on est amené à s’interroger sur l’étanchéité des bureaux où se décident les raids et, donc, sur les éventuelles infiltrations du dispositif répressif par ceux qu’il est censé surprendre et confondre. Les représailles qui ne se sont pas fait attendre – l’incendie de plusieurs voitures de police – ont tout d’une piqûre de rappel sur le mode : nous ne vous garantissons une relative paix sociale que si vous ne nous gênez pas dans notre commerce. N’oubliez pas que nous sommes les premiers employeurs des quartiers populaires et qu’une interruption durable de nos activités mettrait au chômage les dizaines de milliers de salariés qui, dans les milliers de points de deal recensés, assurent la survie des cités… Faut-il vous rappeler les émeutes de juillet dernier ?

Perseverare diabolicum

Voyons les choses en face et disons ce que nous voyons. Il y a une cinquantaine d’années, l’Occident a engagé une guerre sans merci contre la production, la commercialisation et la consommation d’un certain nombre de substances ou de produits stupéfiants, euphorisants, hallucinogènes, toxiques ou létaux. Au fil des années, le nombre des adeptes ou des addicts de ces produits n’a cessé de croître. Aux États-Unis, en pointe dans la lutte contre la consommation de drogue, le nombre des morts par overdose a dépassé les 100.000, l’an dernier, et constitue la première cause de décès pour les classes d’âge comprises entre vingt et trente ans. Nous avons perdu la guerre contre la drogue. Faut-il poursuivre une politique qui a échoué ou se demander si tout n’est pas à revoir dans ce domaine particulier ou plus généralement ? Lorsqu’on aboutit à un résultat inverse à ce qui était cherché, qu’est-ce qui est le plus absurde ? De s’obstiner ou de réfléchir vraiment ?

Une lueur de bon sens dans l’obscurité ? Dans le cadre d’un processus législatif qui a été étonnamment peu commenté, l’Allemagne vient de dépénaliser, donc d’autoriser, sous conditions la vente, l’achat, la production et la consommation de haschich « récréatif ». C’est reconnaître et réglementer dans un sens libéral un marché de quatre millions d’usagers réguliers, soit un million de moins qu’en France. C’est aussi couper l’herbe sous le pied des margoulins vendeurs de chanvre, de rêve et de fumée. On ne les plaindra pas.

Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

59 commentaires

  1. Le principal problème du traffic de drogue est la corruption qu’elle entraîne et par qui celle ci s’appliquerait . Pourquoi ce problème n’est-il pas évoqué tous les jours par les médias.? Alors que nous avons des messages permanents contre la consommation abusive de l’alcool et du tabac ? Parce que cela pose des sujets que l’on ne veut pas aborder comme l’origine de ceux qui s’adonnent le plus au traffic de drogue et ceux qui consomment le plus de drogues . On s’apercevait rapidement que les mêmes qui sont pour une immigration sans limite sont pour la dépénalisation de l’usage et du traffic de drogue . Il faudrait aussi poser la question des pays producteurs de drogue . Le vin et le tabac ont été produits depuis la nuit des temps et n’ont pas déstabilisé des etats et des sociétés , bien au contraire . L’expérience de la chose est là . On va pointer du doigt des pratiques contrôlées liées à notre culture pendant que l’on regarde ailleurs pour d’autres importées.

  2. Et pendant ce temps, on distribue, dans les canaux officiels, Oxycontin et Fentanyl qui ont fait quelque 400 000 morts aux USA. Par ailleurs, il y a proportionnellement plus de consommateurs au Canada (libéral) qu’en France (prohibitionniste). Enfin, il y a tout lieu de penser que la libéralisation conduira les dealers à se reconvertir dans d’autres activités illégales et il n’est pas acquis que la société en sortira gagnante.
    Personnellement, je pense que le statu quo s’impose…

  3. Réformez la Justice, qui est restée aux sanctions adaptées aux année 50, et donnez du pouvoir aux services d’ordres, qui en ont assez de courir toujours après les mêmes. dix policiers avec un droit irréversible de rétention et de sanctions immédiates, valent plus que cent policiers désarmés…Et ensuite, désolidarisez l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice, afin de ne plus faire de la juridiction adaptée aux places disponibles.

  4. Dans les années 90 j’étais encore naïf et dans l’aéroport de Milan je croyais que le chien du policier était intéressé par un sandwich logé dans le sac d’une dame. J’ai compris de quoi il s’agissait quand le policier a gentiment prié la dame de le précéder vers une issue. Si en France on généralisait en tous lieux ce genre de détection par la gente canine, l’Etat (ce qu’il en reste) pourrait se faire un pognon de dingue et renflouer ses caisses. Plus de consommateurs, plus de dealers (mais certes des milliers de chômeurs et bien sûr des milliers de familles pôvres allant aux Restos du C) . En attendant il faudrait recruter des milliers d’éducateurs canins policiers, des milliers de chiens . Ces policiers dont nous avons tant besoin en France.

    • Le vrai problème se situe au niveau des sanctions, d’un bout à l’autre de la chaine des trafiquants, quand on voit des photos prises au téléobjectif de barons du cartel de Medellin, attablés à la terrasse d’un restaurant, est ce que les services spéciaux, n’ont plus de tireurs d’élite? Quand il y a une trentaine d’années, après quatre ans d’enquête et de filatures, deux gros pontes de narcotrafics colombiens sont arrivé à Roissy, croyant avoir été oubliés se sont fait arrêter, le magistrat qui avait signé la garde à vue, était parti faire opportunément de la varappe dans l’Everest sans laisser d’adresse, ce qui fait que comme légalement il n’y avait que lui vivant qui pouvait signer une prolongation de la garde à vue, ces deux malfrats ont du être relâchés. Coïncidences, on nous a dit coïncidences…..je n’y crois pas un instant.

  5.  » La prohibition générale de la drogue a fait de la planète un gigantesque Chicago sur lequel règnent des clones d’Al Capone à qui leurs gigantesques revenus confèrent une influence, un pouvoir, des moyens de corruption, de chantage dont n’avaient jamais disposé les minables Scarface en chapeau mou ». Constat terrifiant mais désespérément objectif, hélas.

  6. Aujourd’hui le cannabis, et demain? l’état doit-il aussi règlementer officiellement l’accès au crack, aux méthamphétamines, à la cocaïne et à l’opium? et refaire une nouvelle loi à chaque apparition d’une nouvelle « substance » de synthèse? Je n’ai pas la solution mais je n’arrive pas à être convaincu que l’exemple allemand soit à suivre

  7. Quel doux rêve…La seule façon d’éliminer ce fléau ne sera jamais employée dans notre société devenue frileuse et décadente, donc vouée à la disparition. Triste constatation, mais il suffit d’observer la réalité.

  8. Avant toute chose, il serait nécessaire de restreindre la surface du problème. C’est à dire que tous ceux qui sont liés à ce problème de drogue doivent être éjectés hors de nos frontières. Il s’agit des vendeurs étrangers qui font leur business sur notre territoire, mais aussi des consommateurs de drogue étrangers, ceux que l’on nomme des migrants en particulier, qui n’ont rien d’autre à faire de leurs 10 doigts de toute la journée. Après, avec ce qui reste du problème, on pourrait imaginer les solutions énoncées par ailleurs.

    • C’est réduire le problème que d’éliminer d’entrée les consommateurs. Et comme ces derniers sont souvent liés, voire donneurs d’ordres, aux forces répressives, le problème est loin d’être résolu. Quand ce sont les « clones d’Al Capone » qui ont pris le pouvoir, on ne peut guère s’attaquer à leurs principales sources de revenus.

  9. Une fois légalisé, est que les milliers de points de vente vont payer l’URSSAF?
    Déjà comptabilise dans le PIB auront-ils le droit au label rouge?
    La legalisation donnera droit au chômage pour les milliers de petites mains?
    Parfois on se demande si les articles sont produits par des  » intelligences  » .
    Viva Nayib Boukele une chance pour le Salvador haha!

  10. Ce que je remarque dans les commentaires, c’est qu’ils sont faits par des personnes « raisonnables », que ce soit les pour ou les contre, en vue d’avoir une société pérenne, la moins mauvaise possible. Les choix qui sont faits par notre classe d’élites gouvernantes, ne se posent pas dans les mêmes termes, pour eux la classe des « sans dents », ne les intéresse pas, ils sont assez nombreux pour diriger les pays développés et s’en partager les richesses, ils ne veulent pas de l’ascenseur social d’après guerre, ce serait pour les puissants une « hérésie », que de permettre au peuple d’accéder à leur clan, donc un peuple de drogués est plus facile à manipuler, que des citoyens à juste titre revendicatifs.

  11. C’est une très bonne mesure et pour moi, il ne faut rien interdire, mais responsabiliser et informer ! La société humaine est comme un grand organisme, elle finit par fabriquer des anticorps ! Il faut obliger tout les médias à diffuser chaque jours aux infos une info de responsabilisation et un bilan, alcool, tabac et autres drogues. Après une période « de guerre » ou on aura ramassé les cadavres un peu partout, il se produira une réaction de rejet, il faut en passer par là car la prohibition est vaine et enrichi la mafias ! Nos policiers ont mieux à faire que de courir derrière les dealers dont les affaires péricliterons !

  12. Comparer les drogues au vin et au tabac c’est partir d’un postulat bancal. Comme la conclusion qui ne l’est pas moins. Après le hachich l’état commercialisera également l’extasy, la drogue des violeurs, la cocaine ?
    On ne pourra jamais régler les problèmes avec ceux qui les ont créés, malheureusement vous en faites partie.

  13. Il faut le rappeler l’alcool est à prendre avec modération et que le tabac tous comme le premier nous le savons sont dangereux pour notre santé. Mais sauf erreurs de m’à part il ne me semble pas avoir entendu parler a l’exception peut-être de quelques faits divers impliquant quelques déranges du ciboulot que des consommateurs d’alcool, des fumeurs de cigarette, et encore moins probable de cigare en manque ce soit mis à égorger des grands-mères, mitrailler des enfants voir comme il est dit corrompre des institutions pour ce payer une bouteille un paquet de cigarette ou des cigare, « bien que pour ces derniers et les institutions je n’en sois pas certain … ». Comparaison n’est pas raison. N’en déplaise aux consommateurs ainsi qu’aux fervents défenseurs de la légalisation que sont les écolos gaucho en particulier mettant sur le même plan: drogue, alcool, ou cigarette des substances à n’en pas douter dangereuses mais dont la consommation avec modération et dans le cadre de la loi sont me semble-t-il moins tragiques pour autrui du moins.

  14. Merci Monsieur Dominique Jamet ! J’espère que vous serez lu par un certain Docteur ici , non pour lui , trop borné , mais pour ses Lecteurs qui pourraient encore évoluer !

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