Squid Game : la mort est un jeu d’enfant

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Cette nouvelle série devenue un phénomène de société qui arrive jusque dans les cours d'école obligeait Roselyne Bachelot à intervenir sur France Inter ce lundi pour alerter les parents : "En soi, c'est une critique sanglante du monde de la téléréalité", mais "on ne laisse pas des enfants" de 12 ans "devant de tels spectacles". À peine un mois après sa sortie, la série sud-coréenne Squid Game connaît un succès mondial : en tête des séries les plus visionnées dans 92 pays, il s’agit du meilleur démarrage de l’Histoire pour la plate-forme Netflix qui a mis en ligne le phénomène. La série, pour laquelle Netflix a investi 21,4 millions de dollars, devrait rapporter près de 900 millions de dollar à la plate-forme, selon des estimations rapportées par Bloomberg.

L’intrigue est simple, voire simpliste : 450 personnes criblées de dettes acceptent de participer à une immense compétition qui leur permettrait de gagner des dizaines de millions d’euros. Les jeux proposés aux compétiteurs sont ceux que pratiquent les enfants dans les cours de récréation : on retrouve des jeux comme « 1, 2, 3... Soleil », ou encore le « Squid Game », une sorte de marelle coréenne. Ce que les joueurs ignorent, c’est qu’en cas de perte, la partie se solde par l’assassinat des perdants, sous les yeux de leurs compagnons.

Le scénario n’est pas franchement original : l’argent, le jeu, la mort… tous les éléments sont réunis pour donner un film terrifiant, comme on les aime. Interdit au moins de 16 ans, il est, bien sûr, visionné par tous les publics, ce qui laisse douter de l’utilité d’une telle mise en garde. Comment expliquer, dès lors, que cette série connaisse un retentissement hors du commun ? Comment, de simple série coréenne, cette fiction est-elle devenue un véritable phénomène de société ?

Cet engouement s’explique tout d’abord par l’effet de mode que véhicule Squid Game : beaucoup de moyens ont été débloqués pour cette série, les structures aux couleurs vives présentent un décor immersif et participent de cette atmosphère kitsch en total décalage avec ce qui se passe dans la série. Les vêtements portés par les joueurs font fureur dans le monde entier : les Vans Slip-on portées par les compétiteurs connaissent une hausse de vente de plus de 7.800 % depuis la fin septembre, les costumes rouges des personnages se vendent sans discontinuer sur Internet, les sablés coréens sont reproduits partout... Une boutique éphémère a même ouvert, à Paris, les 2 et 3 octobre derniers, proposant aux visiteurs de jouer aux jeux vus dans la série. Et en plus de ces coups de pouce marketing, la culture coréenne a le vent en poupe, en ce moment, la K-pop et le cinéma coréens séduisant de plus en plus le public international.

Au-delà de l’aspect marketing de la série, l’attrait est suscité par l’atmosphère glauque et dérangeante qui fait l’identité même de Squid Game et qui se traduit par une inversion totale des valeurs. L’enfance se trouve mêlée à l’horreur, les jeux revêtent un enjeu existentiel car perdre signifie mourir, décors kitsch et couleurs attrayantes constituent le cadre dans lequel se déroulent les boucheries successives, et les hommes se font tuer sur fond de musique classique. Ce décalage entre fond et forme, entre atmosphère et faits bruts, propose aux fans de la série une vision de leur vie en effet miroir. Le spectateur retrouve - même si caricaturé - le quotidien hostile dans lequel il se bat, les problèmes tangibles qui rythment sa vie, tandis qu’on s’évertue à lui rappeler qu’il vit dans un monde fait de « valeurs » et de fraternité. Le spectateur, dans cette vision de la vie résumée à des jeux d’enfant terrifiants, retrouve une vie dénuée de tout idéal. Une vie désespérante du fait de l’absence de sens, de l’absence de transcendance (tout le combat du film est une affaire d’argent !), une vie qui, concrètement, est un jeu mortel dont il faut seulement retarder l’échéance. Et cela lui fait penser à la sienne.

Pour couronner le tout, l’ultra-violence jalonne les épisodes, garantissant au spectateur un maximum de sensations. Le public ayant vu toutes les horreurs et ressenti toutes les émotions possibles, il ne reste plus qu’à pousser encore la limite du gore. Cette vision, si extrême et à la fois si « réaliste », agit comme un électrochoc : le spectateur, pour une fois, se sent tiré de sa torpeur. La série pose des questions, initie une réflexion. Ce réveil fait du bien. Il ne changera rien une fois le film terminé, mais le public a connu quelques heures de répit : sa vie n’est pas si terrible comparée à cela, et elle vaut le coup qu’on s’interroge… même si cela n’aboutit à rien.

 

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Marie-Camille Le Conte
Journaliste à BV

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