Contrairement à ce que certains pouvaient penser, la parenthèse trumpienne n’a rien changé sur le fond : les USA ont toujours la Chine en ligne de mire, seule puissance mondiale susceptible de leur ravir, à terme, le leadership planétaire.

D’où la présence de son successeur, le pas si endormi que ça Joe Biden, lors du dernier sommet de l’OTAN. Sa mission ? Remettre sur pied une organisation jusqu’alors contestée de toutes parts : Donald Trump entendait que son financement soit assuré par les Européens, tandis qu’Emmanuel Macron la jugeait en « état de mort cérébrale ». Après quatre années de déshérence, le nouveau locataire de la Maison-Blanche est donc revenu nous rappeler qui était le vrai patron.

À la Turquie devrait donc être dévolu le maintien de l’ordre en Afghanistan, quitte à sommer Paris de se réconcilier avec Ankara. Ce qui signifie au président Erdoğan qu’avec cette mission, il a désormais une seconde monnaie d’échange en main, avec celle de ces réfugiés qu’il peut nous envoyer au compte-gouttes ou en masse. Bref, c’est la fin de la tentative d’équipée solitaire de l’Élysée, au grand soulagement d’une Allemagne qui pourra tranquillement continuer de consacrer l’essentiel de son budget à asseoir sa domination économique sur le Vieux Continent. Quitte à la France de persister, à en demeurer l’ultime sentinelle, en Orient ou en Afrique noire, seulement forte de l’argent de ses contribuables et du sang de ses soldats.

Seulement voilà, la dénomination de l’Organisation du pacte de l’Atlantique nord, censé jadis défendre « monde libre » contre « empire du mal », est en train d’outrepasser sa zone géopolitique d’origine, Joe Biden affirmant : « La Russie et la Chine cherchent à nous diviser, mais notre alliance est solide. L’OTAN est unie et les États-Unis sont de retour. »

Cela ne nous avait pas échappé, le but de la manœuvre consistant aussi à découpler l’Europe de la Russie, son allié naturel. Mais cette dernière, c’est le gros morceau, avec lequel il faut bien composer. Le coup de génie stratégique d’Henry Kissinger, ministre des Affaires étrangères de Richard Nixon, avait été de découpler Pékin et Moscou, capitales des deux puissances communistes de la guerre froide. Joe Biden tente aujourd’hui de reproduire la même martingale en expliquant au Kremlin que la Cité interdite est un allié bien trop gros pour lui. Bref, du billard à multiples bandes, la Maison-Blanche ayant fini par comprendre, tout comme Donald Trump, que les USA ne pouvaient se battre sur deux fronts à la fois.

Il est vrai que l’actuelle alliance de fait russo-chinoise, singulièrement déséquilibrée aux dépens de Moscou, n’a pu prendre corps que par l’incurie d’une administration américaine en proie à un tropisme antirusse remontant aux heures de l’URSS ; alors que Vladimir Poutine entendait à l’origine ouvrir à l’Ouest avant d’aller chercher, faute de mieux, d’autres alliances à l’Est.

Et la France, dans tout cela ? Emmanuel Macron tente de sauver ce qui demeure d’honneur en rappelant : « L’OTAN est une organisation qui concerne l’Atlantique nord. La Chine a peu à voir avec l’Atlantique nord… » Voilà toute l’énigme macronienne ici résumée. On voit bien que notre Président sent et sait que nous risquons d’être embrigadés dans un conflit qui n’est pas le nôtre. D’où ses audaces sémantiques, mais vite ravalées au nom d’une realpolitik portant, en l’occurrence, assez mal son nom.

Car la seule politique française digne de ce nom serait d’exciper à la fois de notre position géographique centrale en Europe et surtout des confettis de son empire grâce auxquels la France demeure la deuxième puissance maritime au monde et la dernière nation européenne de l’océan Pacifique, Brexit oblige, pour reprendre l’ancestral rôle qui est le sien : celui d’une puissance ayant vocation à jouer le rôle de pivot entre empires des mers et des terres, USA et Chine.

C’est sûrement ce qu’Emmanuel Macron a murmuré lors de ce sommet. Il aurait peut-être été plus opportun de le clamer haut et fort.

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16 juin 2021 à 17:58

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