Relocalisation et réduction des GES : décrypter le vrai du faux

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« Vous voulez agir pour la planète. Vous avez une seule chose à faire : ramenez les industries et la production en France. Il y a très peu de pays au monde qui peuvent se permettre de dire ça. Nous avons le système de production le plus décarboné au monde », a récemment déclaré l’excellent Laurent Wauquiez en conclusion d’un séminaire organisé à Lyon par La Tribune. Il a ajouté : « À condition de ne pas faire n’importe quoi sur le nucléaire, de continuer à développer les énergies renouvelables et sans oublier l’hydraulique. De grâce, arrêtons de nous tirer des balles dans le pied. Le premier facteur d’émission de CO2, dans notre pays, ce sont les importations. » Si ce qu’affirme le président de la région Rhône-Alpes est globalement vrai, il faut toutefois se garder d’être trop catégorique, sous peine de tomber dans une facilité qui, sur certains points, peut s’avérer contre-productive.

« La France a le système de production le plus décarboné du monde » est totalement vrai. Les émissions territoriales (incluant l’agriculture) françaises ont atteint, en 2022, 408 tCO2, soit 6 tCO2/hab. Cela place l’Hexagone dans le Top 5 européen, mais surtout comme champion hors catégorie des grands de ce monde. Le mix énergétique primaire français est un des seuls à contenir moins de 50 % de fossiles, dont pratiquement plus de charbon, tandis que son mix électrique est décarboné à hauteur de 95 %. En comparaison, l’Allemand émet 9 tCO2 annuelles (soit 50 % de plus que le Français) tandis que son mix énergétique primaire contient toujours 76 % de combustibles fossiles. Pour les États-Unis, c’est 81 % de fossiles et pour la Chine 82 %, dont 55 % de charbon !

Une proposition incomplète

« Ne pas faire n’importe quoi sur le nucléaire, continuer à développer les énergies renouvelables sans oublier l’hydraulique. » Correcte, la proposition est toutefois incomplète. Bien que, contrairement à l’Allemagne et à la Belgique, la France n’ait jamais décidé d’abandonner le nucléaire, elle souffre effectivement d’avoir laissé « en jachère » une filière d’excellence pendant plus de vingt ans. Arrêt de Superphénix et d’ASTRID, démantèlement de Fessenheim sous la pression de l’idéologie verte : le nucléaire français a pris deux décennies de retard. Un retard qui se lit en filigrane des problèmes de l’EPR de Flamanville et dans le manque de ressources humaines requises pour effectuer le grand carénage des réacteurs existants.

Le virage à 180° du président de la République lors de son discours de Belfort est certes louable, mais arrive trop tard pour que le nouveau nucléaire (il ne sera disponible que dans la décennie 2040) puisse prendre le relais de l’ancien. Pour ce qui concerne le secteur renouvelable (éolien et solaire), il faut bien entendu continuer de le développer, mais le rythme imaginé par le Président est à notre avis beaucoup trop optimiste. Ainsi, atteindre 40 GW d’éolien en mer à l’horizon 2050 demanderait de mettre en œuvre 80 parcs équivalents à celui de Fécamp, soit… trois par an. Totalement irréaliste. Quant à l’hydraulique « sérieux » (grands barrages du type de celui de Serre-Ponçon), il n’y a guère de possibilités d’extension. Mais, surtout, Laurent Wauquiez omet un point capital : pour combler le retard du nucléaire et satisfaire l’accroissement de la demande électrique (elle devrait doubler, d’ici 2050), la France devra compter sur le gaz dont il faudra impérativement sécuriser l’approvisionnement avec nos partenaires européens.

Les importations, premier facteur d'émission de gaz à effet de serre

Le premier facteur d’émission de CO2 dans notre pays, ce sont les importations. En incluant les importations, l’empreinte carbone du Français atteint 9 tonnes de CO2/hab. Les émissions d’importation représentent donc bien le premier facteur d’émission (200 MtCO2), largement devant les transports (120 MtCO2), l’industrie (76 MtCO2), l’agriculture (76 MtCO2) et l’habitat (73 MtCO2). Toutefois, comme nous l’avons montré récemment dans un article intitulé « Comptabilisation des émissions de CO2 : une question de responsabilité partagée », on ne peut mettre sur un pied d’égalité les émissions territoriales et les émissions d’importation, et ce, pour plusieurs raisons.

En assimilant émissions d’importation et émissions territoriales, on déresponsabilise implicitement le producteur. Ainsi, les fortes émissions liées à l’importation d’un tee-shirt chinois sont principalement dues au mix énergétique fortement carboné de l’empire du Milieu. N’est-il pas injuste de les affecter au seul budget carbone du consommateur européen, même si ce dernier devrait faire preuve de davantage de discernement dans ses achats ?

Par ailleurs, en raisonnant de la sorte, on comptabilise souvent plusieurs fois les émissions. La règle en vigueur reposant sur les émissions territoriales, le tee-shirt chinois est comptabilisé de facto en Chine. Comptabiliser les émissions d’importation au consommateur européen et non au producteur chinois reviendrait à artificiellement décarboner le mix énergétique du producteur et, donc, l’encourager à ne pas faire évoluer son mix. Enfin, les émissions d’importation sont souvent utilisées par l’extrême gauche à des fins idéologique avec des règles à géométrie variable dont le principal dessein est de justifier la peau de la société de croissance et de son démon capitaliste.

Retrouver notre souveraineté industrielle

« Vous voulez agir pour la planète. Vous avez une seule chose à faire : ramenez les industries et la production en France. » Sur le plan global, Laurent Wauquiez a raison. Tout bien non importé et produit en France avec un mix fortement décarboné réduira les émissions mondiales. Mais, aussi vertueuse qu’elle soit, cette réduction sous-entend de nombreux effets pervers dont la France pourrait faire les frais. Comme précisé dans le paragraphe précédent, la comptabilisation officielle des émissions est territoriale. Pour que la relocalisation pèse positivement sur les émissions, il faudrait donc changer le mode comptabilisation. Sans ce changement, la réindustrialisation augmentera les émissions françaises tandis que celles des pays émergents baisseront mécaniquement. Une occasion inespérée pour le clan d’extrême gauche de tirer à boulets rouges sur la société de croissance au mépris de la souveraineté nationale et des emplois créés.

Comme nous le précisions récemment dans ces colonnes à propos du « Projet pour l’industrie verte », amalgamer réindustrialisation et décarbonation est un sport à haut risque. Le surcroît de normes qui en découlera risque de dégrader un peu plus la rentabilité d’entreprises déjà plombées par un excès de charges. Sans oublier que l’industrie lourde reste un secteur où la présence des énergies fossiles reste élevée. La France est-elle prête à relocaliser la verrerie, la sidérurgie ou la cimenterie, ou encore rouvrir des mines pour extraire ces métaux rares dont se nourriront goulûment les batteries, éoliennes ou panneaux solaires du futur ?

« De grâce, arrêtons de nous tirer des balles dans le pied. » Un point supplémentaire où Laurent Wauquiez a totalement raison. Dans le rapport très contesté de France Stratégie publié fin mai, Jean Pisani-Ferry reconnaît explicitement l’inutilité climatique, pour la France, de se conformer au Green Deal européen. Les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique étant des phénomènes globaux totalement indépendants du lieu d’émission, des approches nationales voire régionales resteront peu efficaces si elles ne s’intègrent pas dans une politique mondiale de décarbonation. La principale motivation du Green Deal n’est donc pas climatique mais morale et se justifie, selon France Stratégie, par « l’aspiration d’un nombre croissant de citoyens à ce que leur pays agisse en conformité avec la morale kantienne ». Restons donc pragmatiques et ne tombons pas dans le piège des grands moralistes de gauche. Découplons sans complexe réindustrialisation et décarbonation.

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, membre du bureau politique de Identité-Libertés.

Vos commentaires

27 commentaires

  1. Cher Philippe Charlez, merci pour cet article clair qui invite avec courage et lucidité à découpler avec pragmatisme réindustrialisation et décarbonation, toutes deux nécessaires. Vous avez tout à fait raison de rappeler que ceci ne dispense pas de réfléchir, même si l’on peut comprendre que de nombreux « écologistes français » d’aujourd’hui, surtout chez les jeunes, veulent très sincèrement « sauver la planète » en luttant contre le réchauffement climatique, car même si ce que l’on peut faire en france aura peu d’impact au niveau mondial, cela répond néanmoins à « l’aspiration d’un nombre croissant de citoyens à ce que leur pays agisse en conformité avec la morale kantienne ».

    Allant un peu dans le même sens que vous à propos du réchauffement climatique, Christian Gerondeau (polytechnicien, spécialiste de l’environnement et des transports. Auteur de Le Climat par les chiffres : Sortir de la science-fonction du GIEC) nous invite à ne pas confondre météo et climat. Christian Gerondeau est une voix discordante qui ne se résout pas, chiffres à l’appui, aux conclusions catastrophistes des rapports du GIEC. Il plaide pour la rationalité contre le caractère religieux du combat écologiste.

    Vous pourriez peut-être éclairer les lecteurs de BV dans un prochain article sur la réalité des perturbations climatiques qui vont de plus en plus menacer, non pas tant notre planète (elle saura tjrs se « débrouiller ») que bon nombre de ses habitants. Voir à ce sujet le commentaire de Bjma ci-après : est t’on sûr que l’indéniable réchauffement est dû principalement aux hommes ou à la nature elle-même, il semblerait que personne ne puisse l’affirmer avec certitude… Dans son analyse, il se méprend sur le rôle des océans, principal absorbeur de CO2…

  2. Le bilan carbone de la France chute. La température ambiante continue de grimper ? L’activité humaine des français toujours responsable ? Ne pédalons-nous pas dans le vide ? A contre courant de pays qui se préoccupe avant tout de leur économie ? Quelle gloire allons nous recueillir d’être les meilleurs ? Une économie en déroute ?

  3. Chiche ! Autrement dit il y aura 10 000 raisons ensuite pour expliquer que ce ce n’est pas possible. J’attends de voir pour y croire !

  4. Je ne connais pas grand chose à l’influence du CO2 sur la santé de la Terre, mais je suis allé relever ce matin quelques chiffres qui m’embrouillent encore plus.
    Emission de CO2 par les océans: 330 millards de tonnes par an
    Emission de CO2 par les organismes vivants: 220 milliards de tonnes par an
    Emission de CO2 par la respiration des sols: 200 milliards de tonnes par an
    Emission de CO2 par les volcans: 0.2 Milliards de tonnes par an
    Emission de CO2 par les activités humaines: 45 milliards de tonnes par an (soit 5.4% du total).

    Si on veut réduire la part des activités humaines, il faut bien évidemment jouer sur la démographie, c’est le moyen le plus efficace. Mais est ce que l’on le veut? Veut on plus de population humaine et avoir à la gérer compte tenu d’un réchauffement éventuellement dramatique, ou bien moins pour vivre peinardement…

    Maintenant est t’on sur que l’indéniable réchauffement est dû principalement aux hommes ou à la nature elle-même, il semblerait que personne ne puisse l’affirmer avec certitude.

    • Je pense que vous faites erreur. Les océans sont un très puissant absorbeur de CO2 . Le problème, c’est qu’aujourd’hui, l’augmentation des rejets de CO2 par les activités humaines met en péril cet équilibre. L’océan a toujours absorbé d’énormes quantités de CO2, mais le gaz carbonique rejeté par l’homme représente un excédent considérable. L’absorption de tout ce CO2 entraîne une modification chimique des masses d’eau. Il en résulte :
      – une augmentation des ions hydrogènes, responsable de l’acidification de l’océan;
      – une diminution des carbonates de calcium. Les coraux et les mollusques (huitres, moules) auront donc plus de mal à construire leur squelette calcaire.
      – les méduses prolifèrent : un milieu acide lui permet de produire beaucoup d’oeufs; les forts apports en nutriments (rejets des stations d’épuration) et la raréfaction de ses prédateurs (à cause de nos modes de pêche) ne peuvent que lui rendre service!

      L’acidification est un problème. Le réchauffement des eaux de surface en est un autre. Or, ce dernier contribue à réduire la capacité de l’océan à absorber du CO2 (le CO2 se dissout mieux dans l’eau froide). De ce fait, la concentration de CO2 dans l’atmosphère augmente et aggrave son impact sur le climat.

  5. Une chose avec laquelle je ne suis pas d’accord : Arrêtons totalement les éoliennes, et en grande partie les panneaux solaires. Il y a des dizaines de raison pour cela, mais ce serait trop long à lister. Il faut mettre le paquet sur le nucléaire, et sans doute aussi sur l’hydrogène, sur les carburants végétaux non-alimentaires, et tout cela devrait permettre d’améliorer le bilan énergétique de relocalisations massives. Et éventuellement, faisons pression sur tous les pays pollueurs, aussi bien la Chine et l’Inde que l’Allemagne !

  6. Ces politiques devraient lire le livre de Gerondeau  » les 12 mensonges du giec » et il affirme que le CO2 est nécessaire.
    Il faut arrêter denlaidir et de polluer par le son, les vibrations, le béton le sol et nos paysages avec des éoliennes.
    Les verts qui refusent l’extraction du gaz de schiste mais acceptent celui qui vient d’outre atlantique, doivent être rappelés a l’ordre.
    Dehors tous ces idéologues qui détruisent notre pays. Bravo à wauquiez..

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