Pourquoi le mouvement des gilets jaunes va durer tant qu’il n’y aura pas de retour aux urnes

manifestation gilets jaunes 5 janvier

Acte VIII. Et le score est désormais de 8 à 0. Ce qui devrait faire réfléchir... Les ronds-points sont tout propres, mais les gilets jaunes étaient toujours là, très très nombreux. À Paris comme à Bordeaux où l'on était plus près des 10 000 que des 4 600 de la préfète, et dans de nombreuses villes de province, parfois là où il n'y avait pas eu encore de manifestations, comme à Colmar.

Nous avions senti, dès le début, la force du mouvement. Dès le 17 novembre, la table était renversée.

Comment expliquer cette persistance ?

La première raison du succès et de l'endurance du mouvement tient à sa nature populaire.

C'est d'abord un mouvement transgénérationnel. Tout le monde a été frappé par la place qu'y occupent des retraités. Mais on y trouve aussi de jeunes actifs et des pères de famille de 40 ou 50 ans.

C'est ensuite un mouvement transcatégoriel. Beaucoup de travailleurs aux revenus modestes, mais aussi des fonctionnaires, des ouvriers, des indépendants, des petits patrons.

C'est aussi un mouvement transpartisan. Oui, il y a des sympathisants du Rassemblement national : et comment en irait-il autrement, vu la sociologie de cet électorat (premier parti chez les ouvriers et 11 millions de voix en 2017) ? Oui, il y a des Insoumis. Et aussi des abstentionnistes et des déçus de la gauche et de la droite. Emmanuel Macron a voulu effacer le clivage gauche-droite pour réussir son coup électoral. Mais le peuple l'a lui aussi effacé.

C'est enfin un mouvement transrevendicatif. Chacun y arrive avec son urgence, sa demande, sa logique. S'étonne-t-on d'y voir des militants de la Manif pour tous ? Pensait-on qu'ils avaient subitement disparu parce qu'Emmanuel Macron avait déclaré, pendant sa campagne, qu'il avait été choqué par la façon dont François Hollande les avait « humiliés » ? Tiens, il aurait dû s'en souvenir... Des revendications salariales côtoient des demandes concernant les retraites, le travail, la famille, l'immigration (les moins dicibles mais néanmoins bien présentes). Leur caractère parfois contradictoire renforce paradoxalement le mouvement, le rendant insaisissable.

Toutes ces caractéristiques sociologiques et démographiques assurent au mouvement une puissance de renouvellement sans pareille. Les réserves sont nombreuses.

La seconde explication de ce succès durable est à rechercher dans sa gestion absolument irresponsable par le gouvernement. Entre un Benjamin Griveaux dans le rôle du chauffeur de salle incendiaire et un Christophe Castaner en arbitre qui triche sur le score tous les samedis, entre les arrestations préventives du 8 décembre et celle d'Éric Drouet la semaine dernière, le pouvoir perd un peu plus de crédit à chaque fois et n'aura plus, comme solution, que de battre en retraite. D'ailleurs, certains semblent déjà partis : où est le Premier ministre ? Où se cache Mme Belloubet ?

On peut le redire sereinement : l'incendie « gilets jaunes » ne s'éteindra pas sans le départ de cette équipe. Désormais, le mouvement se nourrit de sa propre force et ne s'arrêtera pas sans événement politique majeur, sans retour aux urnes, sans que la parole soit rendue au peuple, et hors du cadre trop bien balisé du « grand débat national » dans lequel on veut le faire entrer et auquel personne ne croit vraiment.

Ce n'est plus qu'une question de samedis. Les gilets jaunes bénéficient toujours du soutien d'une majorité de l'opinion. Mais ce qui poussera le Président à partir, ce sera la défection d'une partie de son camp - élus, élites et électeurs - qui, gagnée par la peur et voyant qu'il est incapable de maîtriser la situation, le lâchera. Ils ne supporteront plus le face-à-face inquiétant entre des manifestants et un pouvoir méprisant, comme l'épisode de l'évacuation de Benjamin Griveaux après ses déclarations incendiaires de vendredi vient de le montrer. Or, dans ce face-à-face stérile et devenu irrationnel, les gilets jaunes ne sont pas remplaçables ; le gouvernement et le Président, si. Nous ne sommes plus très loin de l'aboutissement. Combien de samedis ?

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