[Point de vue] Justice pénale : se défaire du droit-de-l’hommisme (2/2)

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Suite de l'article publié le 13 mai.

Remettre en cause le principe d'individualisation de la peine

Aujourd’hui, lorsqu’un juge pénal envisage le prononcé d’une peine, il le fait en fonction du principe à valeur constitutionnelle : « le principe d’individualisation de la peine ». On condamne en fonction de la personnalité de l’auteur (vie de famille, vie professionnelle, antécédents judiciaires, possibilités de réinsertion, etc.) et des circonstances de l’infraction.

Ce principe laisse la possibilité au juge de condamner en fonction de ses propres valeurs, de son sentiment ou de ses pensées politiques et sociales. Ainsi, ce principe est devenu un dogme, car on considère qu’il est le seul à pouvoir éviter toute récidive et, de surcroît, il permet de ne pas entraver le pouvoir d’appréciation du juge.

Mais Beccaria avait prévenu de l’incongruité de cette méthode : « La vraie, la seule mesure des délits est le tort fait à la nation et non, comme certains le pensent par erreur, l’intention coupable. » Pour lui, individualiser la peine impliquait « d’établir un Code particulier pour chaque citoyen ». En effet, la mesure de la peine devrait être, quasiment, le seul tort fait à la nation, et pas autre chose.

C’est ainsi que, par exemple, peu importe que le lanceur de pavés vêtu de noir soit un étudiant bourgeois sans antécédents judiciaires, la peine serait justifiée, à elle seule, par le seul tort causé à la société. Voilà une première solution qui pourrait être un peu nuancée. Il pourrait être ajouté, dans des cas particuliers, ici ou là, une petite dose d’individualisation, mais seulement à la marge. Notre système judiciaire s’en trouverait, sans contestation, plus fort.

La certitude de la peine

Beccaria est célèbre pour avoir démontré que « la certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si, à cette crainte, se mêle l’espoir d’impunité ».

Il fut donc parfaitement visionnaire, à tout le moins, en ce qui concerne le droit de la peine français. C’est la certitude de la sanction qui empêche la commission de l’infraction et non l’importance d’une peine, si l’on est quasiment certain de ne pas être condamné. Voilà la deuxième solution : la certitude de la peine pour celui qui commet le délit ou le crime.

C’était, d’ailleurs, le sens des peines planchers qui avaient été décidées sous le Président Sarkozy. À l’époque, néanmoins, les magistrats pouvaient refuser leur application en motivant leur décision. On expliquait alors que cela créait une rupture d’égalité.

Mais la mise en œuvre de ce dispositif est extrêmement dissuasive et la volonté populaire n’a pas à laisser aux juges le soin de décider de l’appliquer ou non.

La promptitude de la peine

Troisième et dernière proposition que l’on pourrait reprendre de Beccaria : la promptitude du châtiment. Selon lui, « plus le châtiment sera prompt, plus il suivra de près le crime qui a été commis, plus il sera juste et utile ».

Notre système judiciaire pénal est organisé de telle manière que le procureur a le choix entre une comparution immédiate (une sorte d’urgence absolue de la justice) ou une convocation à se présenter plus tard devant une juridiction (sous différentes modalités).

Or, la personne est convoquée à une date à 6, 8, 12 mois parfois. De surcroît, il aura la possibilité de solliciter un renvoi, parce qu’il n’aurait pas, par exemple, eu le temps de prendre contact avec son avocat. L’usage veut que le report soit accordé, quasiment systématiquement, la première fois et l’affaire renvoyée à 6, 8, 12 mois parfois. Autrement dit, le prévenu sera jugé presque deux années (parfois beaucoup plus) après avoir commis l’infraction qu’on lui reproche.

On n’évoque même pas la question, ici, des instructions, qui durent presque quatre ou cinq années, ni l’attente interminable pour les victimes.

Cette exigence de célérité manque à notre Justice. Les manques de personnel et de moyens sont une réalité, mais il y demeure, également, un manque de volonté politique.

Pour conclure, disons qu’il ne s’agit que de quelques idées développées brièvement dans cet article. Mais elles existent et auraient le mérite de modifier en profondeur un système qui ne fonctionne pas. Il faudrait, pour cela, retrouver un véritable courage chez les dirigeants de la nation et accepter de se défaire de ce droit-de-l’hommisme tout-puissant et totalitaire. L’urgence n’est plus à démontrer car, et pour terminer avec Beccaria, « les citoyens ont le droit d’obtenir la sécurité personnelle, qui est juste, parce qu’elle est le but de la vie en société ».

Me Alain Belot
Me Alain Belot
Avocat au barreau de Paris, chroniqueur à BV

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Il faudrait en tout premier lieu , me semble t’il, supprimer le juge d’application des peines qui ne sert à rien si ce n’est à vider de leur sens des jugements soigneusement établis après , le plus souvent, des échanges entre l’avocat général, le procureur général et les juges, ou conseillers d’une Cour d’appel pénale pour rendre la justice.
    Le parchemin du juge d’application des peines c’est le » mur des cons « .
    Je connais personnellement des magistrats qui ont préféré démissionner , plutôt que de voir les jugements systématiquement taillés en pièces par ces juges d’application des peines .

  2. Il faudrait juger l’acte et non la personne.
    Ainsi que ce soit un roi ou un sans domicile, le châtiment serait le même. Là serait l’égalité.

  3. Un état sans justice est comme un bateau qui va à la dérive. Et qui finira par sombrer. Notre pays illustre parfaitement cette image. Comment un pouvoir politique quelconque peut-il se résoudre à voir sa Justice se liquéfier comme cela ? Cela dépasse l’entendement. En France, on vole, on viole, on trafique, on tue presque tous les jours, presque partout sans que cela ne semble émouvoir les « dieux » (ou qui se prennent pour tels) de pacotille installés au pouvoir. Et le peuple endure de plus en plus et de plus en plus mal cette situation. Les villes, les transports, les rues et même les campagnes ne sont plus sûrs. La police n’a pratiquement pas le droit d’intervenir, la justice est invisible. Cela ne durera pas éternellement. Le grondement populaire va s’intensifier. Attention au retour de bâton.

  4. Il est un domaine dans lequel la sentence est rapide et sans individualisation de la peine : la « délinquance » routière représentée par les excès de vitesse. Le PV vous parvient en quelques jours et la double peine est la même pour tout le monde : amende ET retrait de points. Il est vrai que ceci rapporte de l’argent à l’état vorace….

  5. Ainsi exposées clairement les solutions paraissent simples et de bon sens et point n’est besoin d’être juriste pour arriver rapidement aux mêmes conclusions. Peine systématique dès la première infraction, prononcée et exécutée rapidement : rappel à la loi, convocation à la Saint Glinglin, sursis, n’ont aucun sens pour la jeune racaille qui vit au jour le jour, est incapable de se projeter dans l’avenir et ne sont interprétés que comme la permission de continuer sans crainte de sanction. Pour celui à qui n’a jamais été posé de limites par la famille ou l’école, il importe précisément d’enfin lui en poser une fermement, début indispensable à tout espoir de redressement. C’est tout le contraire de la politique pénale de nos gouvernants, dont le premier souci devrait être celui des victimes, auxquelles apparemment les droits de l’homme ne s’appliquent pas.

  6. Ancien officier, j’ai été chef de corps d’un régiment para à la fin des années 90. Quand un de mes gars sortait sérieusement des « limites gauches et droites » commme nous disions à l’époque, j’avais le droit de mettre « au trou » immédiatement et jusqu’à un certain nombre de jours. On appelait cela les arrêts de rigueur. C’était rapide, ciblé, net et parfaitement admis. Tu déconnais sérieusement pendant le week-end ? Tu passais « prendre le thé » chez le colonel le lundi, avec d’ailleurs le droit de t’expliquer, et si telle était sa décision tu prenais des jours d’arrêts simples (travail normal et nuit dans les ravissantes et coquettes cellules du poste de sécurité du quartier) ou d’arrêts de rigueur (enfermement complet dans les susdits agréables boudoirs…).
    Bien sûr, sous la pression européenne et des ligues de vertu, le début des années 2000 à vu mettre fin à ce régime abominable de privation arbitraire de liberté ! Le régime de sanctions militaire a ainsi été Taubira-tisé…
    Mais je continue de penser que pour sanctionner les incartades de « début de carrière » des futures racailles, le droit conféré au maire, au commissaire de police, au préfet, de les mettre très rapidement au gnouf pendant quelques courtes journées (48 ou 72 heures…), au sandwich SNCF et à l’eau, mais surtout sans leur indispensable smartphone, serait très efficace. Et cela sans le néfaste ballet des comparutions, avocateries et tergiversations infinies qui déconnectent totalement la faute de la sanction.
    C’est d’ailleurs ce que font plusieurs pays, comme les Pays Bas, qui incarcèrent dès la première condamnation et même pour de très courte peines. Et cela semble bien mieux fonctionner que notre admirable système qui repousse toujours plus en temporalité et intensité la sanction.

  7. Il semble qu’un droit est oublié, le droit à la réparation des victimes, il y a eu un « mur des Cons » tant représenté, mais ils auraient pu mettre en face le mur des victimes, pour eux il n’y a pas de remise de peine, même pour bonne conduite.

  8. Le droit de l’hommisme devrait bénéficier prioritairement aux victimes, non ? Or, il semblerait que notre justice s’apitoie beaucoup sur les délinquants, les criminels, les racailles de tout genre, …. oubliant complètement de défendre les victimes ….La preuve : lorsqu’une victime essaie de se défendre ou de résister, elle est plus sévèrement condamné que son agresseur.

  9. Nos Magistrats ne jugent plus au nom du peuple mais en fonction de leurs choix politiques . Le Syndicat bien connu et l’affaire Fillon jugé en urgence absolue à l’approche des élections le montrent clairement.

  10. Les magistrat suivent presque tous l’idéologie extrême-gauchiste quand ils rendent leurs verdicts voire même avant. Cette idéologie quoique appelant à l’anarchie et au désordre en toute impunité est préférée sur la solution juste équitable mais qui demande beaucoup de courage pour l’appliquer.
    Cette pusillanimité vient d’une peur du lynchage médiatique des associations islamo-gauchistes et des amis de Plenel. Alors, malgré leur « serment » à appliquer la loi sans se soucier des avis des uns et des autres, avis qui ne sont d’ailleurs qu’une forme atteinte à l’indépendance de la justice, ils préfèrent faire du tort et entorse à la loi mais recevoir une sorte d’approbation par ces partisans droit-de-l’hommistes
    Mais en fin de compte qui laisse cette injustice prospérer? Qui est le premier garant de l’indépendance de la justice si ce n’est l’État à ces plus hautes sphères? Quand le président tweet pour condamner quelqu’un qui essaie de réparer une injustice faite aux enfants, c’est en réalité une implication indirecte pour soutenir et le cas échéant diriger l’affaire dans une certaine voie.

  11. Ce serait l’évidence et le bon sens (ce dont nos besogneux lunetteux des codes en tuniques à pans ridicules sont fort dépourvus). Les « droits de l’homme » tels qu’ils sont appliqués (interprétés) actuellement sont l’exacte négation ou inversion du droit fondamental à la justice et à la protection

  12. Bravo Maître Belot, tout est dit. Mais ce gouvernement, on le mesure tous les jours, agit contre son peuple.

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