Plus fort que SAS : Skripal, un agent double russe tué à Londres !

On se croirait revenu aux grandes heures de la guerre froide.

Sergueï Skripal et sa fille Youlia, retrouvés entre la vie et la mort, sur un banc londonien, le 4 mars dernier - manifestement empoisonnés. Pour les autorités britanniques, la substance incriminée, « d’origine militaire », est le Novitchok, mis au point par l’URSS, de 1970 à 1980, pour l’élimination des opposants et autres brebis galeuses.

Aussitôt, le Premier ministre Theresa May monte au front : « Il est très probable que la Russie soit responsable. » Et Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, de rétorquer : « C’est du cirque en plein Parlement britannique. La conclusion est évidente : il s’agit d’une nouvelle campagne politico-médiatique fondée sur la provocation. »

Il est sûr que cette affaire ne tombe pas à n’importe quel moment. D’un côté, une Angleterre diplomatiquement affaiblie par le Brexit ; de l’autre, une Russie en pleine campagne présidentielle, Vladimir Poutine s’apprêtant à rempiler pour un nouveau mandat.

Si Gérard de Villiers était encore de ce monde, nul doute qu’il aurait envoyé le prince Malko Linge tirer l’affaire au clair, tel qu’il le fit, lors d’un cas similaire (l’assassinat de l’oligarque Alexandre Litvinenko), en 2006. Il fallut dix ans pour que le 10 Downing Street rompe avec la langue de bois diplomatique et admette que « l’opération avait probablement été approuvée par le président Poutine ». Vraiment ? Cela, Gérard de Villiers l’affirmait moins d’un an après les faits, au terme d’une enquête des plus fouillées, dans Polonium 210, ouvrage passionnant à relire à la lumière des récents événements.

On y comprend ainsi que le profil de Sergueï Skripal n’est pas sans évoquer celui d’Alexandre Litvinenko, homme d’affaires aux affaires pas toujours nettes. En 1995, Skripal, alors membre des services secrets russes, est recruté par les services anglais ; un agent double, donc. Les services russes le démasquent et l’arrêtent en 2004. Deux ans plus tard, il est condamné à treize ans de camp pour haute trahison, avant d’être, en 2010, échangé avec trois Russes espionnant pour le compte de Washington contre dix agents russes opérant aux USA. Depuis, Sergueï Skripal vivait en Angleterre, comme Alexandre Litvinenko.

Dès lors, le FSB (l’ancien KGB) est-il responsable de cette opération ? C’est plus que probable et la thèse de la « provocation » avancée par Moscou ne tient guère la route, même s’il est patent que cette affaire est surexploitée par les médias occidentaux. Mais pourquoi ce ratage, les Russes étant passés maîtres dans l’art de l’empoisonnement discret ? Une maladresse n’est pas à exclure, mais demeure des plus improbables. Ce serait donc sciemment que ces services auraient, en quelque sorte, signé leur crime. Pourquoi ?

Dans le SAS à l’instant cité, on apprend quelle est la règle pour les oligarques exilés ou les agents en disgrâce. Ils ont tout loisir de profiter de leur argent plus ou moins honnêtement gagné, à condition de ne plus jamais faire de politique et de se garder d’interférer dans les affaires du Kremlin. C’est cette précaution des plus élémentaires qu’Alexandre Litvinenko avait négligé d’observer. Il y eut un avertissement. Un seul. Au second coup de canif apporté à ce contrat tacite, il mourait empoisonné au polonium. Le FSB avait laissé autant de traces que le Petit Poucet de cailloux. C’était un avertissement de Vladimir Poutine, histoire de refréner les possibles envies qu’auraient pu avoir d’autres oligarques de se mêler de ce qui ne les regardait plus.

Le cas de Sergueï Skripal relève du même cas de figure, et peut-être songeait-il, lui, à rompre la loi du silence, à se montrer trop bavard avec les journalistes. Interrogés par Le Monde, John Lough et James Sherr, membres éminents du Chatham House, cercle de réflexion proche des services britanniques : "L’implication russe fait peu de doute, car Moscou n’a pas envoyé les signaux diplomatiques de rigueur pour montrer son innocence." Le message est clair. Aux "traîtres" installés au Royaume-Uni pour leur dire : "Vous ne serez plus jamais en sécurité." Au Royaume-Uni lui-même : "Nous pensons que vous êtes faibles et nous n’avons aucun respect pour vous."

Il est vrai qu’il y a longtemps que la Russie de Vladimir Poutine s’est remise à jouer aux échecs, tandis que l’Angleterre de Theresa May s’obstine à jouer au cricket. Ça fait toute la différence.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 14/03/2018 à 20:38.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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