Hubert de Givenchy et Audrey Hepburn : l’élégance d’un autre âge

Le couturier Hubert de Givenchy a tiré sa révérence dans la nuit de samedi à dimanche. Son style discret était bien représentatif d’un "âge d’or de l’élégance", comme l’a souligné hier un journal britannique. Ce qu’on appelait jadis le « chic parisien ». Il avait eu 91 ans le 20 février dernier et, lorsqu’il fonda en 1952 sa maison de couture, il n’avait donc pas vingt-cinq ans. Mais, comme disait Rodrigue, "je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années". Et Hubert Taffin de Givenchy était « bien né », comme on disait alors.

Issu d’un milieu traditionnel, dirons-nous, rien ne le disposait apparemment à embrasser la carrière de la mode. Et pourtant, un peu quand même. En effet, son grand-père maternel était administrateur des Gobelins. Cette belle « incongruité » française qui remonte au XVIIe siècle, lorsque la France, sous l’impulsion d’un État stratège – on appelait alors cela la monarchie ! – encourageait le « produire français », comme on dirait aujourd’hui, et notamment dans ce qu’on n’appelait pas encore l’industrie du luxe.

Comme l’expliquait le couturier dans une interview donnée en 2016, ce grand-père "achetait des costumes, des vêtements, des coiffures, des drapeaux. Il avait toutes sortes de choses intéressantes au point de vue matière. Et c’est là que j’ai découvert mon intérêt aux mousselines, aux broderies, aux dentelles. Et j’étais fasciné… Cet héritage que j'ai eu la chance de pouvoir consulter a été d'une grande influence." Faire de beaux habits avec de la belle matière. Tout part de là. Il faudra attendre les années 70 et Paco Rabanne pour que le couturier devienne métallurgiste ou chaudronnier. Il est vrai qu’à l’époque, on commençait à fermer les hauts fourneaux. Certains se feront même éboueurs en utilisant des sacs-poubelle pour habiller les femmes. Chaque époque a sans doute les couturiers qu’elle mérite.

Il y a la matière, donc, "toutes sortes de choses intéressantes", comme le disait avec sobriété Givenchy. Et il y a, évidemment, l’imagination qui s’agite au bout des doigts. Par le crayon, d’abord, puis par les ciseaux et l’aiguille, les petites mains prenant vite le relais, le succès venant. Car un couturier, c’est au départ quelqu’un qui coupe et coud. Qui donne forme à la matière. La matière qui devra composer, épouser, magnifier. Magnifier non pas le couturier mais la femme. La matière, l’imagination et enfin la femme. Car il n’y a pas de haute couture sans la femme. À l’époque où se lançait Givenchy, les mannequins – on ne disait pas encore "top model" – ne semblaient pas sortir tout droit du bal des vampires. À cette femme des années 50, Givenchy veut offrir des tenues au style "chic et décontracté". Il crée ainsi les « séparables » afin que "les femmes inventent leur propre style". D’emblée, ses collections plaisent. Grace de Monaco, Jackie Kennedy vont s’habiller chez lui. Excusez du peu.

Mais « The » rencontre pour Givenchy fut évidemment celle avec Audrey Hepburn. Pour lui, issu de la noblesse, cette rencontre fut l’un de ses "deux privilèges", comme il le disait lui-même - l’autre ayant été celle avec le couturier Cristóbal Balenciaga. Elle eut lieu en 1953 à Paris, dans son atelier. Il raconta ce moment au journal suisse Le Temps, à l’occasion de la sortie, en 2014, de son livre To Audrey With Love, un livre de croquis de robes et costumes qu’il avait dessinés pour l’actrice. "D’abord elle m’est apparue gracieuse, gracile, différente de ce que l’on avait l’habitude de voir. Elle était si mince, si menue si j’ose dire, grande, des yeux enchanteurs, une silhouette délicate…" L’actrice britannique avait alors vingt-quatre ans et devait être habillée pour son prochain film, Sabrina, dans "l’esprit de Paris".

Puis Givenchy créa bien d’autres costumes pour Mademoiselle Hepburn. Drôle de frimousse, Ariane, Diamants sur Canapé, Charade, Deux têtes folles, Comment voler un million de dollars : dans tous ces films, l’élégance si naturelle de cet "ange aux yeux de biche" était mise en valeur grâce au génie d’un gentilhomme français.

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Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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