Pèlerinage de Chartres : malgré les intempéries, une démonstration de force réussie pour les « tradis »

pelerinage Chartres

Il fallait voir les Parisiens, sur le bord du trottoir, regarder s’ébranler, médusés, l’immense colonne du « pélé de Chartres », parti de Saint-Sulpice, samedi, au petit matin. Les bonnes têtes de gamins mal réveillés, les rires, les chants, les bannières au vent sont un immense souffle d’air pur après une semaine d’actualité focalisée sur les agressions du Stade de France. Si la France est désormais un archipel, selon la formule de Jérôme Fourquet, convenons qu’il est des îles plus paradisiaques que d’autres.

L’âge et la joie des pèlerins désarment les préventions (de la plupart) des passants. Mais pas celle de la hiérarchie catholique. Car le temps n’est pas au beau fixe pour ceux que l’on appelle « les tradis ». Et l’on ne parle pas ici du déluge qui s’est abattu sur eux, samedi soir, les forçant à trouver refuge en catastrophe ailleurs que sur le bivouac habituel, complètement inondé. De cela, ils se fichent bien, ce sera le souvenir de l’édition 2022. Non, la foudre tombe bien d’en haut, mais vient d’ailleurs.

Il y a eu, au mois de juillet dernier, le motu proprio Traditionis custodes, qui entend de toute évidence signer un coup d’arrêt à l’expansion du rite que Benoît XVI avait appelé extraordinaire. Il y a aujourd’hui la suspension soudaine des ordinations dans le diocèse de Toulon, qui touche, au-delà, des tradis, toute la mouvance conservatrice. Les « cathos identitaires », comme aime à les appeler Libération. Comme si l’identité, qui ne fait que caractériser chacun, était devenue un gros mot. Il y a, à Toulouse, plus anecdotique, mais révélatrice, l’exhortation faite par Monseigneur de Kérimel à ses séminaristes de ne plus porter la soutane.

S’il s’agissait, après deux ans d’interruption liée au Covid et pour son 40e anniversaire, de faire de ce pèlerinage de Chartres une démonstration de force, le pari est réussi. On a retrouvé les jeunes pèlerins (20 ans de moyenne d’âge) encore plus nombreux que d’habitude : 17.000 inscrits, selon les organisateurs. On a retrouvé du côté de l’autel les bannières, les oriflammes, les croix et les statues de saints portées en procession, le faste, l’apparat, l’encens et les rites anciens. On a retrouvé du côté du bitume et des chemins de terre des pèlerins épuisés, éclopés, échevelés, trempés avec un coup de soleil sur le nez, des godasses crottées, mais toujours un restant de souffle pour épuiser le sommaire de leur carnet de chants, puisque selon saint Augustin, c'est prier deux fois. On ne sait si c’est le pèlerin qui porte, posée sur ses épaules, la Vierge sur son brancard en bois, ou la Vierge qui porte le pèlerin.

Que l’on ne s’y trompe pas, tout cela n’est pas affaire de bondieuserie, de curé, d’effluves de sacristie, bref, de grenouille de bénitier, comme pourraient le laisser croire à certains ces quelques lignes, mais de chrétienté. Comme le nom de l’association qui organise le pèlerinage : Notre-Dame de chrétienté. Comme le titre du dernier essai de Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, la disparition à bas bruit de cet humus commun dans lequel puisent nos mœurs, notre organisation sociale, qui refluent avec lui.

Ces jeunes pousses qui repartent à la base du vieux tronc devraient réjouir comme une divine surprise. Paradoxalement, elles en irritent plus d'un. Consciemment ou non, certains croyaient que la relative tolérance dont avaient fait montre Jean-Paul II, la bienveillance de Benoît XVI étaient une transition compréhensive en attendant que les vieillards nostalgiques passent (et trépassent). Or, là où on voulait voir un centre de soins palliatifs, on a vu fleurir une pouponnière. Aujourd’hui, il est cruel pour un certain clergé français, qui avait cru en son temps être à la pointe du progrès, d'être perçu comme une assemblée de « boomers » dont les réformes liturgiques trop audacieuses ont figé dans un cadre seventies daté, et donc déjà démodé, une religion éternelle.

Les lettres de fidèles apportées, à pied, par une délégation de mères de prêtres n’ont été considérées qu’avec une distraite attention. Bien sûr, la Fraternité Saint-Pierre a obtenu de haute lutte une dérogation, mais la situation reste précaire pour tous. Une supplique au pape François de catholiques varois concernant les ordinations en forme de pétition est en train de tourner. Que deviendront-ils demain, ô mon Dieu ? Ils l’ignorent, selon les mots d’abandon de Madame Élisabeth, attendant le couperet de la guillotine...

Mais alors que la base des catholiques - cultuels comme culturels - se contracte, l’Église peut-elle s’offrir le luxe de laisser sur le bord du chemin ces familles, ces jeunes, ce clergé ? « Le mépris affiché pour les ultimes pratiquants est suicidaire », mettait en garde le sociologue Yann Raison du Cleuziou, le 20 novembre 2020, dans La Croix. Car la réalité démographique est là. Les « vétérans [du catholicisme de gauche] se trouvent sans postérité – ou presque – dans la jeunesse catholique résiduelle. » Les plus conservateurs, eux, ont transmis. Et ont eu beaucoup d’enfants.

On peut aussi voir dans ces grandes manœuvres coercitives brutales au sommet, dans la « dureté glaciale » du motu proprio Traditionis custodes, pour reprendre les mots de Jean de Tauriers, président de Notre-Dame de chrétienté ce dimanche, la fébrilité d’une fin de règne : le clan progressiste veut verrouiller tant que le pape François est là, analysent certains. Éteindre la flamme de ces jeunes de Chartres s'annonce compliqué, même le violent orage, la grêle et les inondations de samedi soir n’y ont pas suffi. C’est dire.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

57 commentaires

  1. Bravo Gabrielle pour ce magnifique acte de foi chrétienne ,non notre foi chrétienne n’est pas morte cette jeunesse est l’avenir, le pape François c’est le passé la jeunesse a compris qu’il fallait revenir aux traditions les bêtises de la messe à la suite de Vatican 2 en particulier du déménagement des autels on vidé les églises, oui je retrouve ma place dans une messe traditionnelle comme beaucoup d’autres et ce mouvement ne s’arrêtera pas

  2. Le courage, eux en ont ,malgré ce Pape progressiste et lié au mondialistes, quel bonheur de voir ces jeunes maintenir les traditions.

  3. Merci pour ce magnifique article madame Cluzel … qui nous fait du bien dans ces temps difficiles .

  4. Comme c’est bien écrit ! Merci , Madame Cluzel !
    Ca me rappelle mon pélé enthousiaste (le seul et unique, hélas !) de 1968, coucher dans le foin des granges de la Beauce et le mal de pieds qu’on surmonte coûte que coûte (j’étais très mal chaussée !) , comme pour mes premiers 20 kilomètres pour aller voir les rives du Danube ..brun. Depuis, je ne chante plus. Les curés modernistes- pattes d’éléphant et cheveux longs, m’avaient dégouté de la messe dès 1973..

    • Il existe encore des prêtres dans la tradi et le pélerinage de Chartres à Paris, allez courage !

  5. Chrétien, chrétienté ce sont ces mots qui ressortent de cet excellent article car ces mots sont l’expressions sur lesquelles reposent nos us et coutumes.
    C’est notre monde.

  6. Excellente, comme toujours. On a envie de faire parti d’y croire et d’adhérer sans retenue aucune à ce qui a fait la France, celle de cette fierté puisée dans notre passé avec les bons et mauvais moments mais, toujours sûr d’une issue valeureuse, d’une espérance d’y croire.

    • Si vous en avez envie, pourquoi ne pas y croire et faire l’année prochaine le pélerinage ? et des prêtres et Eglises tradis, cela existe !

  7. Cette jeunesse-là doit disparaître, elle est l’image d’une France que nombreux ne veulent plus, pour la remplacer par une utopie, avec une jeunesse issue d’une pseudo-religion, violente, inculte, droguée, etc. …. Tout cela avec la complicité irresponsable de Français. J’espère que cette jeunesse va se battre et prospérer avec la fierté d’être Chrétienne et Française.

    • « une France que nombreux ne veulent plus, pour la remplacer par une utopie, » Pire que ça, par une idéologie. Pire, car les idéologies, après collision dans le mur des réalités, finissent toujours de la même façon : au prix de millions de morts.

  8. Bravo à ces jeunes, même si mon pèlerinage lui part de Chartres à Paris, annulé d’ailleurs étant donné la météo, le sel de l’Eglise est dans ces jeunes qui veulent faire vivre la Tradition de l’Eglise de toujours n’en déplaise au Pape François fossoyeur de la Catholicité.

    • C’est aussi le pèlerinage que je fais depuis des années avec mon plus jeune fils, avec l’entrée dans Paris qui nous fait vibrer, c’est témoigner que les Chrétiens ne se cachent pas et sont fiers de témoigner de leur Foi. Mais les nouvelles de Rome nous inquiètent. Merci à BVoltaire de nous comprendre et de parler de nous avec impartialité.

    • Je l’ai fait 12 fois, le premier en 87 où nous étions « tous ensemble » et jamais je n’ai eu l’impression d’une coupure brutale après 88. Nous avons simplement suivi des prêtres en qui nous avions confiance. Sur la route de Chartres, il arrivait souvent que nous récitions le chapelet pour « les autres » et dans les années 90, l’échange de bannières à mi-parcours était la règle et je trouve cela très bien, il faut rester unis dans la vraie foi.

  9. Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Eclesiam Meam !
    Et les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre toi.
    L’actuel « successeur de Pierre » est-il encore digne de sa charge ?

  10. L’occupant du Siège de Saint Pierre a commencé son pontificat en négligeant l’ajout d’un numéro à son nom.
    « On » a éliminé de force Benoît XVI, pour y mettre à la place un wokiste du Catholicisme.
    Au Vatican comme ailleurs le wokisme commence à battre de l’aile, alors que les anges qui en portent deux, ne se résignent pas à laisser la place.
    La sourde contestation dès le début à François, se fait entendre un peu plus chaque jour, et gagnera grâce à la force du peuple des chrétiens !

    • Le « wokiste » met en place sa succession.
      Avec Hollande, les français s’étaient imaginé que le pire était arrivé … Et on a Macron.

      • Nous sommes bien d’accord.
        Sous Hollande nous étions au bord du précipice.
        Sous Macron nous tombons dans les abysses des abîmes du néant !

    • Continuons à espérer. Mais, malheureusement, nos propres enfants ne sont pas vraiment conscients de ce qui se passe, ne s’informent pas, n’en ont pas forcément le temps : travail, enfants à élever, et profiter d’une vie qui, par ailleurs, leur propose tant de distractions) et n’écoutent que la bien-pensance qui leur est livrée, ne voyant pas que leur façon de percevoir les choses n’est que naïveté, et bourrage de crâne.

      • Je vous fais la même réponse qu’à Evariste.
        Nous sommes bien d’accord.
        Sous Hollande nous étions au bord du précipice.
        Sous Macron nous tombons dans les abysses des abîmes du néant !

  11. Combien ce pélé de Chartres est beaux à bien des titres, madame Cluzel vous avez pleinement raison de le souligner, mais dans le même temps combien il est triste de constater que la « chasse » aux traditionnalistes est ouverte, et même par ceux qui sont de la même « maison ».
     » Il y a grand péril au royaume de France ! »

  12. Je dis bravo mais très haut et fort .Magnifique cette jeunesse qui n’a pas hésité a affronter le déluge pour perpétuer cette tradition n’en déplaise à certains .C’est par des actes semblables que nous sauverons ce qu’il reste de ce pays .Il est de notre devoir à nous les anciens d’encourager ce genre de manifestations encore et toujours , de plus en plus .Et surtout toutes nos fêtes chrétiennes et les congés scolaires :Noël , Pâques etc et non pas congés de printemps ou autres noms.

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