Pas d’excuses pour la violence !

On se demande comment faire cesser, à tous niveaux et sur tous les registres, la violence qui sévit partout et détruit l'esprit démocratique ainsi que l'élémentaire civilité.

Le premier des remèdes serait que personne ne la justifie car elle est injustifiable. Que personne ne l'excuse car elle est inexcusable. Qu'aucun intellectuel, essayiste, écrivain ne la légitime par des contorsions plus ou moins habiles, une argumentation plus ou moins perverse mais toujours dangereuse.

Laurent Binet, dans Libération, a écrit un article qui ne vise à rien de moins, en nous exposant que le rapport de force des mentalités a changé depuis cinquante ans, qu'à faire comprendre et subtilement absoudre les violences d'aujourd'hui. Notamment celles des Black Blocs qui ne seraient pas des brutes se servant de l'idéologie pour dévaster et frapper avec bonne conscience mais des casseurs lucides ayant intégré que "si la rue veut obtenir quelque chose, elle doit pourtant faire un peu peur".

Je ne ferai pas un mauvais procès à cette personnalité en l'accusant d'être responsable, avec cette attitude, des transgressions singulières ou collectives, délictuelles ou criminelles, des violences multiples qui se perpètrent même sans la sollicitation ou l'aval de qui que ce soit.

Il n'empêche que ne pas consentir à poser comme un principe absolu le caractère inexcusable de toute violence pour la sauvegarde de notre société, de notre vie républicaine, de nos débats intellectuels et de notre quotidienneté a des effets destructeurs qui sont constatables depuis des années, tant en ce qui concerne le terrorisme que pour les mille infractions, les grossièretés et vulgarités qui dégradent, infectent les réseaux sociaux.

Tout ne se vaut pas mais tout participe d'un système affreusement cohérent où la violence est devenue un mode d'expression comme un autre - parfois même le premier -, et où la moindre complaisance avec cette ignominie à récuser sans nuance aboutit à fragiliser la lutte de ceux qui se battent contre elle.

Violence des crimes et des délits.

Violences contre la police.

Violence des affrontements politiques.

Violence d'un langage de moins en moins maîtrisé, de plus en plus sommaire, vindicatif et insultant.

Violence des mots et aussi de l'absence de mots.

Violence des représentations pendant un Président en effigie ou lui mettant une balle dans la tête.

Violences des joutes médiatiques.

Mille formes, expressions, manifestations de violence, de la plus ordinaire à la plus atroce. Leur détestation devrait être globale, indivisible. En tolérer une revient peu à prou à moins flétrir les autres.

On nous rétorquera que nul qui valide un certain type de violence n'est comptable de toutes celles qui, au propre comme au figuré, offensent, blessent, humilient, tuent.

Pourtant, sauf à s'imposer contre les vents et les marées d'aujourd'hui qui, par impuissance ou masochisme ou égarement, soufflent vers le pire, il n'y aura jamais d'arrêt brutal, de rémission sensible, de restauration d'un ordre et d'une paix, d'une urbanité retrouvée si nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques, de concert parce que cette démarche et sa nécessité devraient dépasser toutes les frontières partisanes, ne s'accordent pas sur la dénonciation dans tous les cas de la violence.

Qu'on n'aille pas, pour battre en brèche cette généralité, rappeler quelques exceptions se rapportant à des périodes historiques singulières - Hitler ou Staline - et à leurs suites...

Chercher des raisons à la violence, avant même sa condamnation d'emblée, est la porte ouverte vers toutes les extrémités et comme une étrange soumission à ce qui, faute de pouvoir être éradiqué, n'est plus perçu comme un mal mais comme une dérive consubstantielle à l'humain.

Je suis hostile à la judiciarisation de la pensée mais, parfois, je me me prends à songer à un délit inédit : celui de provocation à la violence à force de l'excuser.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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