Onze ans plus tard, en ce 14 Juillet, honneur aux commandos morts en Afghanistan
Les sables du temps ont fini par recouvrir leur mémoire. Nous avons fini par partir d'Afghanistan. Les Américains eux-mêmes, avec leur débandade misérable, ont réédité le fiasco de Saïgon, jusqu'à la terrible image de l'hélicoptère sur le toit de l'ambassade. La population française a fini par oublier que 90 de nos soldats avaient laissé leur vie au « royaume de l'insolence », pour des buts de guerre qui nous paraissent aujourd'hui dérisoires et qui n'ont, en tout cas, pas été atteints.
Il y a onze ans, le 13 juillet 2011, des commandos parachutistes français sécurisaient une « choura », une réunion de notables, à Joybar, dans la province de Kapisa. Un terroriste a réussi à se glisser au milieu des troupes et s'est approché des véhicules blindés. Il a fait exploser la charge qu'il portait sur lui. Quatre commandos et un photographe militaire ont été tués dans l'attentat : le lieutenant Gauvin, les adjudants-chefs Guéniat, Marsol et Técher et le sergent Vermeille.
La sélection des commandos parachutistes est impitoyable. Ces groupes, les GCP, sont le fer de lance des régiments de la 11e brigade parachutiste, et recrutent des personnalités complètes, à la fois hyper-techniques et hautement créatives, capables d'efforts physiques épuisants et de décisions rapides et audacieuses. Aucun des cinq hommes morts ce jour-là n'était un inconnu dans le monde des unités parachutistes. L'un d'eux, le seul officier du détachement à avoir laissé la vie ce jour-là, représente, de manière presque allégorique, le sens de l'engagement jusqu'au sacrifice suprême.
Il s'appelait Thomas Gauvin. Un prénom d'apôtre, un nom de chevalier. Ce n'était pourtant pas, semble-t-il, un de ces scouts mal grandis qui choisissent l'armée par atavisme ou par abus de lectures héroïques. Il venait d'une famille civile. Il avait choisi ce métier par pure vocation et préparé le concours de Saint-Cyr en lettres, au Prytanée de La Flèche. Après sa réussite, il rejoint la promotion 2005-2008 de l'École spéciale militaire. Elle portera le nom de « Capitaine Beaumont », un chasseur parachutiste mort pour la France en Algérie.
Thomas Gauvin sortit major de Saint-Cyr en 2008 puis opta pour l'infanterie. En 2009, il rejoignit le 1er régiment de chasseurs parachutistes, au sein duquel il fut orienté vers le groupe commando. Chuteur opérationnel, chef brillant et soldat complet : les témoignages de ses camarades de promotion, visibles sur Internet, rejoignent probablement ceux de ses pairs et de ses hommes. Il était marié et avait la vie devant lui.
Les quatre hommes qui l'ont accompagné dans la mort étaient des héros, eux aussi. Ils avaient longuement mesuré, sans doute, ce que représentait leur engagement total. Il n'empêche. L'absurdité de ces destins foudroyés nous saisit encore, à onze ans de distance.
Le général Burkhard, actuel chef d'état-major des armées, a donné une tribune au Figaro du 12 juillet : « 14 Juillet, pourquoi nous défilons ». Il y rappelle que le défilé du 14 Juillet n'est pas un simple défilé rituel, mais un acte par lequel les armées et la nation se renouvellent leur fraternité. Les troupes échantillonnaires qui défilent sur les Champs-Élysées ne sont pas seules : les ombres des héros les survolent, archanges silencieux tombés loin d'ici dans le bourbier de la guerre.
Il est curieux que, dans une société qui hystérise même les pertes au combat, qui ne supporte pas la mort, les noms des 90 héros d'Afghanistan ne soient pas vénérés. Est-ce une forme de déni ? Puissions-nous en tout cas nous souvenir, demain, qu'il y a onze ans, cinq familles comprenaient, mieux que personne, la terrible force du lien qui nous relie aux armées. Honneur à ceux de Joybar.
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