On enterre plus que Johnny : l’emblème d’une époque

La mort de Johnny Hallyday a produit l'effet d'un tsunami émotionnel et médiatique avec de multiples résonances et récupérations politiques. De quoi Johnny Hallyday est-il l'emblème pour susciter pareils remous ? Quelle en est la lame de fond ?

Johnny Hallyday est apparu sur la scène médiatique en tant que "l'idole des jeunes" au début des années 60. Pour la première fois dans l'Histoire, "les jeunes" se distinguaient en catégorie sociale et politique. En opposition au « conservatisme à Papa », celui transmis jusqu'alors par toutes les générations précédentes, formatées par un christianisme économe, interdicteur, qui orientait la dynamique libidinale des jeunes vers le travail.

Cette irruption de la jeunesse sur la scène sociale américaine allait de pair avec l'émergence d’une classe moyenne, constitutive de la société de consommation. Cette mutation sociale et culturelle a engendré musicalement le rock'n'roll. Johnny a été, sa vie durant, le passeur et l'emblème de cette mutation américaine. À sa façon, il a contribué à son installation en France et, plus largement, dans les pays francophones européens. C'est pourquoi sa carrière a été toujours un peu frappée au coin du mépris par un public français plus restreint, qui préférait l'original anglophone à la copie.

Mais la mort de Johnny change la donne jusqu'à atteindre l'unanimité et la sacralité réservée aux saints et aux héros. Car la mort de Johnny, c'est plus que la mort d'un sympathique showman français à l'américaine qui a accompagné trois générations. C'est la mort d’une jeunesse que l’on croyait éternelle, la fin d'une époque, celle de la France des Trente Glorieuses, des idéaux et de l'idéologie, du credo libéral et libertaire, qui la portaient. La mort de Johnny survient en effet dans une France en totale décomposition, qui a perdu sa joie de vivre, dont la jeunesse est plus que jamais paumée et sans avenir. Une France dépouillée de son identité, de sa solidarité, livrée à l'insécurité et à la pauvreté, à la corruption. Que nous l'ayons aimé ou peu aimé en tant qu'artiste importe peu, ce sont nos souvenirs d'une France aimée, une part de nous-mêmes qu'avec lui nous enterrons. Une France que Johnny avait, à sa manière et sur le temps long, incarnée. C'est ainsi que Johnny, mort, est devenu un emblème.

Ces funérailles, dites "populaires", sont en fait d’envergure nationale. La réunion de tout ce que la France compte de fossoyeurs de notre pays et du christianisme sous les voûtes catholiques de l’église de la Madeleine en est un signe singulier, entaché d’un monumental oxymore. Les prêches des amis du chanteur, qui rythment la cérémonie religieuse urbi et orbi, redonnent soudain place au catholicisme. Les funérailles sacrées du rockeur national nous glissent un message subliminal. Nous sommes dans un entre-deux que nous qualifions de "crise" : la mort d'une époque et la venue d'une autre. Mais laquelle ? Question de vie ou de mort. Que voulons-nous ?

Pour le savoir, nous devons faire le point sur les erreurs du passé et sur celles du présent, considérer les enjeux, pour tracer l'esquisse de notre avenir. Jean d'Ormesson, qui vient aussi de nous quitter, oriente notre réflexion vers un point fondamental, autour duquel s'articulent les succès de notre civilisation mais aussi l’échec douloureux que nous vivons aujourd'hui. Dans une interview donnée il y a quelques années, il parlait de son éducation, de sa jeunesse investie dans le travail et livrait cette intime conviction : "J’ai toujours pensé qu’une des supériorités de l’Occident venait du retard de la sexualité chez les jeunes gens." Bien vu !

L’échec de la génération soixante-huitarde et de ses émules est total : la libération sexuelle a abouti au désenchantement et à l'effondrement de notre pays, de notre civilisation. La haine de soi et la politique suicidaire menée aujourd’hui par nos « gouvernances » n’en sont-elles pas les symptômes les plus flagrants ? Le deuil national de la France que nous aimions, symbolisé par la mort de Johnny Hallyday, sera-t-il enfin en mesure de nous réveiller ?

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Véronique Hervouët
Psychanalyste et essayiste - Vice-présidente du SIEL

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