Maire, un mandat devenu impossible à exercer ?

Depuis les dernières municipales de 2020, 2.189 maires ont volontairement démissionné, soit près de 6 % d'entre eux. Du jamais-vu. Un casse-tête pour l’échéance à venir. Le mandat de maire serait-il devenu impossible à exercer ?
David Lisnard, président de l’Association des maires de France (AMF), n’a cessé d’alerter. Déjà, lors du congrès de 2023, il déplorait « 40 démissions par mois en moyenne ». Déjà, le rapport annuel du CEVIPOF énonçait les difficultés auxquelles se heurtent les édiles, insurmontables pour beaucoup. On imagine bien que, deux ans plus tard, rien n’a changé. Si : en pire.
Dans la longue liste des problèmes des élus, expliquait le président de l’AMF, il y a la difficile conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, les indemnités insuffisantes pour y pallier, les tracasseries administratives qui s’empilent et l’agressivité croissante des citoyens. Expliquant le peu d’attractivité qui risque de poser de sérieux problèmes en 2026, David Lisnard expliquait alors, sur Public Sénat : « Il est absolument anormal que la moitié des maires de France perdent de l’argent en devenant maire. » Il ajoutait : « Beaucoup cumulent avec un job, notamment dans les petites communes, et l’indemnité est nettement inférieure au SMIC. Il faut regarder cela en face. » Il rappelle alors que « le maire a une fonction exécutive et une responsabilité civile, politique et pénale », il faudrait donc, pour pouvoir s’en sortir, qu’il « ait au moins un revenu de cadre moyen ».
Qui voudra encore être candidat ?
La nouvelle étude de l’Observatoire de la démocratie AMF-CEVIPOF/Sciences Po, dont la publication a été confiée aujourd’hui à LCI, France Info, Le Monde et l’AFP, classe, elle, les principales causes de démission des maires avec, en tête, « les tensions politiques au sein du conseil municipal » (à 39 %), puis « les passations de pouvoirs anticipées et organisées dès le début de la mandature » (13,7 %) – on songe, ici, à l’entourloupe marseillaise qui a porté Benoît Payan à la mairie – et, enfin, « les questions de santé physique (13,1 %) et mentale (5,1 %) ».
Pour mener leur enquête, l’AMF et Martial Foucault, professeur à Sciences Po et chercheur au CEVIPOF, ont exploité les données du Répertoire national des élus (RNE) « complétées par des articles de la presse régionale et un recueil de témoignages ». Ils sont donc allés à la source, faisant remonter du terrain le profond mal-être qui saisit en masse les représentants du peuple, plus assurés du tout de pouvoir représenter qui que ce soit.
À noter qu’un quart des maires démissionnaires sont issus de communes de petite taille (de 1.000 et 5.000 habitants), mais celles qui comptent plus de 10.000 habitants sont les plus touchées. Sur la période étudiée, c’est-à-dire le mandat en cours (juillet 2020-mars 2025), il apparaît que la majorité des démissionnaires (53 %) occupaient cette fonction pour la première fois. Leur enthousiasme de débutant n’a pas résisté à la confrontation au réel.
Toutefois, contrairement à l’idée reçue, disent les rapporteurs, « les situations de violence physique ou symbolique à l’endroit des maires n’apparaissent pas comme un élément déclencheur direct de démission ». Reste que « ces violences créent un climat général générateur d’anxiété pour les élus ». Tout comme ont été génératrices d'anxiété la crise du Covid-19 ou les émeutes de juillet 2023.
Des conseils pléthoriques et ingérables
Les enquêteurs relèvent en première cause de démission le poids des tensions et trop souvent des conflits au sein des conseils municipaux. Plus explicite, David Lisnard parle de problèmes de surreprésentation, c’est-à-dire que le nombre d’élus exigés par rapport au nombre d’habitants est beaucoup trop élevé. C’est particulièrement vrai dans les villages où il est extrêmement difficile de boucler les listes, mais aussi dans les grandes villes où l’on doit établir les listes par arrondissements. C’est aussi la cause des « ratés » qui font la joie mauvaise des médias, la nécessité d’accrocher des volontaires pour figurer sur les listes faisant qu’on est moins regardant sur le profil.
Autant de difficultés qui, pour le prochain scrutin, en mars 2026, seront accrues par l’obligation d’avoir une parité complète sur les listes, y compris pour les plus petites communes. C’est une exigence constitutionnelle. Votée de justesse à l’Assemblée le 7 avril dernier, la loi « visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité » risque bien, au contraire, de tout faire exploser.
En effet, si, jusque-là, les communes de moins de 1.000 habitants étaient soumises au scrutin de liste majoritaire à deux tours, avec possibilité de panacher les listes (c’est-à-dire de rayer certains noms), elles devront désormais élire leurs représentants à partir de listes paritaires, sans possibilité de panachage. On notera avec étonnement que l’AMF et l’Association des maires ruraux ont néanmoins soutenu ce texte. En dernier ressort, les sénateurs ont adopté « deux dispositifs de sécurisation » : les communes de moins de 1.000 habitants seront autorisées à présenter des listes incomplètes ; ensuite « des élections complémentaires pourront être organisées en cas de démissions importantes de conseillers municipaux, sans avoir à réorganiser une élection municipale partielle ». Quant au remplacement des adjoints si nécessaire, il sera possible de déroger à la règle du remplacement par une personne de même sexe. Ouf !

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20 commentaires
Il est étonnant que n’apparaisse pas de manière plus explicite que la perte quasi totale de pouvoir des petites communes à laquelle se rajoute des responsabilités, y compris pénales, hors de proportion et déconnectées des pouvoirs réels est un élément important de désaffection des candidats, y compris comme « simple » conseiller.
De là, et c’est très français, à vouloir régler le problème avec de l’argent …
être élu aujourd’hui est un défi comme celui auquel sont confrontés tous ceux qui œuvre pour le bien public.
50 années à ne prêcher que pour le droit individuel tue peu à peu l’ardeur de ceux qui se consacrent à l’intérêt public. Et les avancées dites sociétales des dernières années ne font que développer ce malaise. Un droit ne peut exister sans sa contrepartie de devoirs, on ne l’a que trop peu voir pas du tout affirmé.