Logement : les seniors ont trop de place, dit l’INSEE. À quand, la réquisition ?
« J’ai fait un rêve… » La formule est connue, reprise et galvaudée, depuis que Martin Luther King l’a prononcée au Lincoln Memorial de Washington, DC, le 28 août 1963.
Moi aussi, je fais un rêve, ou plutôt un cauchemar. Récurrent, celui-là. Je rêve que s’installent chez moi des familles venues de l’autre côté de la Méditerranée. Des gens que je n’y ai pas invités, bien sûr, mais que les autorités y ont amenés au prétexte que je vis seule et qu’il est scandaleux qu’une personne comme moi ne partage pas son espace vital avec les nécessiteux. Je reçois une lettre disant que mon appartement est, désormais, sous le coup d’une réquisition, transformé en logement communautaire, et aussitôt, c’est le débarquement avec les valises et la marmaille.
Dans mon cauchemar, je rase les murs, vis enfermée dans ma chambre, n’ose plus approcher de ma salle de bains ni de la cuisine, où mitonnent des tambouilles exotiques. Chaque fois, je me réveille avec le cœur qui bat la chamade, persuadée que ce mauvais rêve n’en est pas un mais bien la vision d’un futur proche…
Et, voyez-vous, ce que je lis ce matin me conforte, hélas, dans ce pressentiment.
C’est une étude de l’INSEE qui s’est penchée sur le logement des seniors (60 ans et plus) dans le Grand Est. Pourquoi le Grand Est ? Parce que c’est, avec la Bretagne, la région où l’on est le plus en "sous-peuplement très accentué". Retenez bien l’expression et surtout sa définition : il y a sous-peuplement lorsque le logement "comporte plus de pièces que nécessaire". Sic. Sont donc montrés du doigt ces égoïstes qui "ont tendance à conserver leur logement après le départ des enfants du domicile familial ou le décès du conjoint".
Salauds de vieux ! Salauds de propriétaires, surtout, dans ce Grand Est où « 45 % des seniors vivent dans un logement comportant au moins trois pièces de plus que nécessaire, contre 37 % en moyenne dans le territoire de la métropole ».
Dis-moi, l’INSEE : de quoi j’me mêle ?
C’est quoi, le "nécessaire", dans une maison où l’on a passé des années, élevé ses enfants, vécu avec un grand ou un petit amour, tricoté des souvenirs ? Fait sa vie, tout bonnement.
J’essaie de lutter contre la paranoïa mais tout cela ne sent pas bon. Ça pue même mon pire cauchemar. Après les statistiques viendra la loi de réquisition : allez, mamie, allez papy, dégage et laisse la place ! Tu as deux chambres ? Cèdes-en une. Tu en as trois ? Donnes-en deux. Partage ta cuisine et ton séjour. S’il le faut, mets une chèvre sur le balcon et un mouton dans la baignoire. Ils font le méchoui au milieu du salon ? Faut t’y faire, c’est leur culture…
Autrefois, les cauchemars, c’était la nuit. On avait la journée pour oublier. Demain, la journée sera un cauchemar. On dormira pour l’oublier… Ou pas.
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