Livre : La Chute de Ceausescu, de Radu Portocala

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Après Le Vague Tonitruant, essai publié en juillet 2018, consacré à l’ascension ainsi qu’à la première année de mandat présidentiel d’Emmanuel Macron – texte dans lequel la crise des gilets jaunes y était, en quelque sorte, annoncée (« Il finira haï de tous ») –, Radu Portocala revient avec La Chute de Ceausescu (Éditions Kryos), cet ouvrage étant une nouvelle édition, revue et augmentée, de L’Exécution de Ceausescu, paru en 2009. Et, bien que cet événement historique semble lointain, l'ancien collaborateur de l'hebdomadaire Le Point (de 1986 à 1992) parvient à en donner une dimension très actuelle, bien au-delà du contexte politique de la Roumanie des années 80-90. Au point de se demander même si tout pouvoir, démocratique ou pas, serait prompt à agir de façon totalitaire.

Celui qui fut un ami de l'écrivain roumain Emil Cioran (1911-1995) rend compte, à l'aide d'un style tant épuré qu’aiguisé, de chacun des épisodes d’un véritable feuilleton audiovisuel, et ce, au moment même où l'Europe continentale vient de célébrer les 30 ans de la chute du mur de Berlin. En l'occurrence, Portocala était le seul à pouvoir traduire le contenu de la retransmission du « procès » de Nicolae Ceaușescu sur Antenne 2, en direct, le 25 décembre 1989 : un procès politique fomenté par les services secrets du président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, une mise en scène enclenchée officiellement par « le massacre de Timisoara » (« Faux et vrai départs de feu »), ceci juste deux ans avant l’effondrement de l’URSS : « Depuis le début des événements de Timisoara, subrepticement, le pouvoir de Ceausescu avait été diminué par une partie des hommes de son entourage […] Le 22 décembre 1989, à midi, Ceausescu n’était plus rien, l’autorité et les moyens de l’exercer lui avaient été enlevés, et il ne le savait pas encore » (« Fuyard ou prisonnier ? »).

« Jusqu'où toute technostructure peut-elle être intelligente ? » pourrait-on se demander, à l'aune de la lecture de cette enquête dont la teneur est celle d'un film d'espionnage. En effet, du KGB à la Stasi, voire du MI6 à la CIA, tout État moderne a recours à une police parallèle, celle-ci devant toujours être en capacité de donner le la d'une conspiration visant la destitution d'un clan au profit d'un autre, sa seule arme de destruction massive étant la culture de la désinformation (« Coup d’État en direct »). In fine, Portocala nous rappelle que l'Europe de l'Est en a soupé, de l’intoxication médiatique. Car, que ce soit pour la France comme pour le reste de l'Occident, il fallait acquiescer à cette supercherie cathodique dans la mesure où la désagrégation du bloc communiste n'était plus qu’une question de temps. Avec une grande précision, Portocala fait la démonstration qu'il n'y a jamais eu de crime de masse perpétré par le président roumain déchu, mais une pure manipulation d'images (« Charnier »).

Quant au « procès », celui-ci ne pouvait que servir de prétexte pour un montage vidéo (« Ultime mascarade »). Comme si cela ne devait plus jamais se reproduire à l'ère néolibérale. Ou comme s’il n’y aurait plus jamais de tensions entre « les informations » libérales et « les désinformations » illibérales…

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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