L’Iris blanc, le nouvel Astérix : la divine surprise !

ASTERIX

Dans Ces Chênes qu’on abat, André Malraux cite cet échange impromptu qu’il eut avec le général de Gaulle, à l’occasion duquel le grand homme aurait assuré : « Au fait, vous savez, mon seul vrai rival international, c’est Tintin ! » Notons néanmoins que le reporter à la houppette était belge ; au contraire d’un Astérix qui donna son nom au premier satellite tricolore lancé dans l’espace, le 26 novembre 1965. Et pourtant, les parents d’Astérix, héros franco-français emblématique s’il en est, ne l’étaient pas exactement. Au pinceau : Albert Uderzo (1927-2020), né d’une famille d’immigrés italiens. À la plume : René Goscinny (1926-1977), quant à lui issu d’une longue lignée de Juifs d’ascendance polono-ukrainienne. Comme quoi l’assimilation des immigrés était alors une affaire qui tournait rond.

Tout cela pour dire qu’avec la mort du second, la magie des aventures de l’irréductible Gaulois s’en est allée. Pour dessinateur hors pair qu’il fut, Albert Uderzo n’était pas scénariste d’exception, loin s’en fallait. Quant à ceux qui tentèrent ensuite de reprendre le flambeau, ni le cœur et encore moins le talent n’étaient au rendez-vous. À tel point que les amateurs, continuant d’acheter mécaniquement chaque nouvel album, se disaient, fatalistes, que ce dernier serait immanquablement pire que le précédent. Ce qui, fortuitement, n’était pas faux.

En effet, si Astérix est demeuré héros intemporel, c’était justement parce qu’il se gardait bien de sacrifier à l’air du temps. Mieux : à celui de l’âge d’or du grand René, il en demeurait le contempteur prophétique, préfigurant ainsi des Philippe Muray ou des Alain Finkielkraut. Le Domaine des dieux annonçait les folies technocratiques, Obélix et compagnie, les dingueries spéculatives.

À rebours de cet anticonformisme, ses successeurs s’empressèrent de prendre les trains en marche et d’enfoncer des portes déjà ouvertes depuis bien longtemps. Ce qui donna des bouses telles que La Rose et le Glaive et autres Fille de Vercingétorix, empreintes de féminisme nigaud. Ne manquait plus que ça finisse en écriture inclusive, genre Inclusivix le Gaulois racisé.

Et là, contre toute espérance, survient le miracle, L’Iris blanc. Au dessin, Didier Conrad, dont c’est le sixième Astérix, continue d’honorer, graphiquement s’entend, la mémoire d’Albert Uderzo. Mais c’est Fabcaro, le scénariste, qui change manifestement la donne. L’homme, tour à tour professeur et rocker, s’était déjà taillé une jolie réputation avec Zaï Zaï Zaï Zaï, roborative bande dessinée en forme de satire de notre société de consommation. Là, il parvient (véritable tour de force) à presque égaler le génie de René Goscinny.

Les jeux de mots à tiroirs foisonnent. Les références, allant de la grande Histoire à notre époque contemporaine, sont légion ; tels ces Romains, une nouvelle fois ici à la peine. Et, surtout, à l’instar de son maître, il rame enfin à contre-courant de la modernité ambiante, n’hésitant pas à railler les actuelles vaches sacrées : culte du faux bien-être et du développement personnel, bienveillance obligatoire et niaiserie inclusive. Ainsi, diligenté par César, Vicévertus, professeur de bonheur, est-il envoyé dans le village qu’on sait pour y amollir les Gaulois en les convertissant à une nourriture saine et équilibrée. Les cinq fruits et légumes quotidiens passeront-ils ? Le chef Abraracourcix trouvera-t-il en lui sa part de féminité ? Et, surtout, parviendra-t-il à reconquérir le cœur de son épouse Bonemine ?

Pour cela, Astérix et Obélix devront à nouveau se rendre dans un Lutèce façon Anne Hidalgix, avec trottinettes, bars à vins et restaurants bio. La tête d’Obélix devant sa « farandole de sanglier » où, dans l’assiette, il y a plus de farandole que de sanglier… Mieux, et ne reculant devant aucune audace, on y raille même le mariage homosexuel de façon détournée, quand Astérix, entendant le barde Assurancetourix chanter « Légionnaire particulier cherche légionnaire particulière », démarquage du tube Partenaire particulier (cherche partenaire particulier) signé par le groupe éponyme, s’indigne en ces termes : « Quoi ? Même ça, ils le tolèrent ? Ce n’est pas possible ! »

Il fallait oser. René Goscinny, lui, n’aurait sûrement pas hésité. Là où il est, il peut être rassuré. La descendance est enfin assurée. Si vous n'avez pas trouvé cet album au pied du sapin, vite, commandez-le !

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

12 commentaires

  1. J’en suis à la moitié, et je ne suis pas convaincu…
    À peine meilleur que les précédents jusque maintenant….Je reviendrai commenter quand j’aurai tout lu ((et éventuellement relu)…

  2. Pendant la lecture, nous allons enfin quitter ce monde de fous qu’on nous impose. Merci pour cet article qui remet un peu de baume au coeur. À l’année prochaine!

  3. Mon cher Nicolas, il s’agit là de votre meilleur papier de l’année. Il a le même effet qu’une madeleine de Proust et la douce nostalgie qu’il réveille nous pousse vers le site le plus proche pour commander ce dernier Astérix.
    Si cet album n’est pas à la hauteur de l’espérance que suscite votre article, alors la déception sera grande.
    J’ai toutefois confiance en vous et je ne vais pas tarder à passer commande.

  4. Il y a si longtemps, longtemps, que je n’ai même plus lu un nouvel « Astérix » qu’il va falloir que j’y goûte avec précaution, pour m’y habituer de nouveau.

  5. Je suis en train de le lire, les premières pages m’ont fait me gondoler; notamment, le centurion avec un visage vaguement « Macronesque », s’exclame « on met des seterces de dingue dans ce village qui résiste encore… »

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