Une librairie se meurt
Le tweet d’un ami m’interpelle. Une librairie parisienne qu’il fréquente risque de fermer. Elle a pourtant pignon sur rue, ce que l’on nomme un fonds de commerce établi. Pour tenter d’éviter la catastrophe, elle se lance dans une opération de financement participatif - un crowdfunding, dans le jargon ayant droit de cité dans la finance.
Il y a une règle relativement bien établie dans les affaires : c’est celui qui distribue qui gagne à la fin, mais cela n’empêche pas des luttes homériques entre distributeurs. La « grande » distribution a modifié profondément les habitudes d’achat. L’épicerie de quartier, la boulangerie du coin de la rue, la boucherie et les autres petits commerces ont vu leurs clientèles s’amenuiser telle une peau de chagrin. Le rouleau compresseur passe, les fringues et la déco remplacent le commerce de bouche en centre-ville, sic transit...
Les libraires ont eu aussi à se battre contre l’hégémonie de certaines enseignes. Peut-être aidés par la loi Lang sur le prix unique des livres, ils ont mieux résisté à leurs prédateurs de jadis. Ceux d’aujourd’hui sont plus dangereux. Internet a été inventé.
Depuis, une enseigne caracole en tête de toute la distribution mondiale qu’elle a révolutionnée. Elle a pris les produits culturels – livres, musique et vidéos - comme cheval de Troie pour atteindre une taille critique, puis s’est diversifiée jusqu’à l’épicerie ou la pièce détachée automobile.
On y remplit son Caddie® virtuel, une liste de références pointant vers des produits présents dans une base de données. Comme une ligne de plus ne coûte presque rien, l’offre est de très loin la mieux fournie : elle se contente d’exposer des produits qu’elle n’achètera que si on les lui commande, imposant au fournisseur le financement du stock et les contraintes de logistique sur les références à faible rotation[ref]NDLR. En fait, Amazon possède un parc de stockage absolument gigantesque dans les pays qu'elle dessert, auquel elle ajoute chaque semaine 100.000 m2 (10 ha) de plus. Les pratiques auxquelles fait référence l'auteur dans ce chapitre concernent les boutiques indépendantes qui choisissent de distribuer leurs produits sur le site de Amazon, souvent de manière non exclusive.[/ref].
Pour se rendre au « rayon » où se trouve l’objet recherché, le client tape quelques lettres dans une zone de texte. S’afficheront, outre le résultat, des suggestions d’achat, savamment élaborées par un algorithme qui sait quels sont les achats passés, les pages visitées : provoquer un achat impulsif en suggérant un produit approprié, ça fait monter la valeur du panier. Et comme certains produits se réduisent dorénavant à des successions de 1 et de 0, plus besoin d’attendre : le téléchargement est immédiat. Pour les autres produits qui existent physiquement, une chaîne logistique éprouvée permet une livraison rapide. Et comme ceux qui alimentent ces bases de données n’ont rien de libraires, il suffit de demander au client de donner leur avis sur les produits achetés : pourquoi recruter et payer, ils le font gratuitement !
Cette entreprise vend même, maintenant, des vitrines virtuelles et des services logistiques à tous les autres commerces. L’omni-distributeur est né, et vous, client, restez confortablement assis dans votre fauteuil. C’est efficace et efficient, et c’est bon pour le bénéfice par action trimestriel de l’omni-distributeur. Mais pas pour les salariés, les sous-traitants, les fournisseurs. Et les autres distributeurs.
Flâner dans une librairie en oubliant parfois le temps qui passe, errer jusqu’à s’y perdre au gré des impulsions, toucher les livres, les feuilleter, en lire une page ou deux, les reposer, se laisser séduire par une couverture, penser à quelqu’un à qui offrir ce bouquin, échanger quelques mots avec un libraire ou un client, chercher enfin le livre que l’on était venu acquérir, en acheter deux autres et en commander un troisième… Laissez-moi espérer que ces petits plaisirs insignifiants, chronophages et inefficaces perdureront encore.
Je ne sais pas si cette librairie peut être sauvée par une telle levée de fonds si peu orthodoxe, mais pour pasticher une marionnette connue, vous pouvez éteindre votre ordinateur et reprendre la lecture d’un livre papier acheté chez votre libraire de quartier.[ref]NDLR. Boulevard Voltaire publie "Douce France" en exclusivité chez Amazon. Vous pouvez acquérir l'ouvrage en cliquant ici. Les bénéfices sont intégralement reversés à SOS Chrétiens d'Orient.[/ref]
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