Lettre à l’Afrique sur sa monnaie (1)

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Un article du Figaro (Guillaume Poingt, "Fabriqué en France, le franc CFA est sur la sellette") revient sur l'idée d'une fin du franc CFA, thème souvent repris sur le continent africain et dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique.

Disons-le d'abord nettement : si malgré les bonnes raisons - que j'expose ci-dessous - de conserver le CFA tout en le faisant évoluer, les pays concernés au premier chef décidaient de passer à leurs propres monnaies, il n'y a aucune raison prétendument néo-colonialiste de maintenir cet outil monétaire. Toutefois, cet article du Figaro a donné prétexte à de mauvais débats et n'en a pas suffisamment motivé de bons. D'ailleurs, des plumes africaines autorisées ont regretté la légèreté qui plombe une question aussi importante (Hamidou Anne, "La fin du franc CFA mérite de meilleurs avocats qu’une tribu de farceurs", Le Monde, 22 août 2017).

Passons sur le fait que Le Figaro trouve quinze États utilisant le CFA alors qu'ils ne sont que quatorze (huit en Afrique de l'Ouest, six en Afrique centrale), mais la tonalité est donnée. Passons encore sur le fait que les coupures (monnaie fiduciaire) sont imprimées en France ; mais ce n'est pas le seul cas ; bien des pays qui ne possèdent pas les hautes technologies nécessaires à l’impression des billets non falsifiables font de même, y compris en Europe.

Il faut surtout ajouter que la masse de monnaie fiduciaire n'est qu'en moyenne de 5 à 10 % de la masse monétaire globale, et que la plus importante question est le contrôle de la création monétaire par les banques (crédit, titrisation, spéculations diverses). Or, selon les accords de Maastricht, la France s'engage à garantir au CFA une stabilité reconnue, gage de confiance des partenaires de l'Afrique ; et une convertibilité fixe (1 € = 656 CFA). Ce qui contraint la Banque de France à participer à la coordination des politiques financières et bancaires des deux banques centrales africaines, la BCEAO (Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest) et BEAC (Banque des États de l'Afrique centrale). D'ailleurs, les résultats de cette coordination vertueuse ont été que les banques africaines ont bien mieux résisté aux tsunamis financiers de 2008 que certaines banques françaises ! Car, en pratique, les banques centrales africaines sont tenues d'avoir un compte de 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français ; ces dépôts sont rémunérés par la France, qui verse des intérêts. Le résultat est que le CFA est une monnaie stable, à taux de change fixe, inspirant confiance, générant peu d'inflation, qui simplifie les échanges tant avec les pays de la zone euro que dans les relations Sud/Sud.

Toutefois, si l'euro vient à être surévalué par rapport au dollar (c'est le cas à la mi-2017), les pays d'Afrique souffrent (comme d'ailleurs la France). Tant que le dollar se déprécie, les économies fortement dépendantes du dollar sur les marchés mondiaux et arrimées à des monnaies qui s'apprécient souffrent. À la fois pour leurs exportations soumises à la concurrence des produits venant des "pays dollars" (notamment asiatiques et latinos, exemple : café, cacao, fruits) et pour leurs importations monétairement dumpées qui viennent concurrencer les productions locales (exemple : textile).

En réalité, le débat, en Afrique, est surtout affectif : les opinions publiques en général ne comprennent rien aux mécanismes monétaires et, en Afrique, ne connaissent pas le fonctionnement du CFA. On fantasme sur l'idée d'un néocolonialisme français rampant, ce qui pollue le débat public avec un sentiment d’humiliation dû au passé colonial. À nos amis africains, nous dirons qu'il ne sont pas les seuls à mêler sentiments et raison économique car le débat sur la sortie - ou non - de l'euro est, en Europe et en France, tout aussi magique ! Pire : les Français imaginent la fin éventuelle de l'euro comme une sorte d'apocalypse, alors que certains médias subsahariens rêvent la sortie du CFA comme l'avènement de l’éden sur la terre africaine.

On ne niera pas, toutefois, l'aspect, plus feutré, de l'influence politique du CFA : une dépendance symbolique forte, un instrument d'influence, un soft power qui maintient une relation singulière entre l'Afrique et la France, et auréole l'État français d'une influence certaine (dont il n'abuse pas, n'ayant jamais opposé son veto aux décisions des banques centrales africaines). Mais, au fond, une influence plutôt moindre que la langue française, le droit français, les médias ou le foot français, le système éducatif. Les osmoses diplomatiques aux Nations unies, les intérêts géostratégiques. Et une influence bien moindre que celle du FMI et de la Banque mondiale, qui font marcher tout leur monde à la baguette (dévaluations et ajustements structurels imposés en 1994).

Henri Temple
Henri Temple
Essayiste, chroniqueur, ex-Professeur de droit économique, expert international

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