Les grands groupes l’ont compris : un brevet de vertu sociétal tient lieu de blanc-seing social !

bus Freenow

« Free Now veut se (re)faire un nom », c’est le magazine Stratégies qui l’écrit. Il faut dire que le client peine à suivre. En deux ans, l’entreprise de VTC en est à son troisième nom. Après Chauffeur privé et Kapten, voici FreeNow, depuis l’absorption par BMW-Daimler, pour gagner en visibilité internationale : 250.000 chauffeurs affiliés - comprenez des chauffeurs « partenaires » et « à temps partiel » - circulant dans une centaine de villes et 26 millions d’utilisateurs.

Il y en a 30.000 en France.

Pour (re)dorer le blason d’une marque et la doter d’une excellente réputation, rien de tel que le registre de la transgression conformiste. Celle qui coche toutes les cases.

En région parisienne, pas moyen d’échapper, ces derniers jours, aux affiches banalement provocantes - mais pas besoin de se fatiguer, comme pour l'art contemporain, on compte sur l'indignation des conservateurs idiots utiles, dont je suis aujourd'hui, pour faire le buzz - par l’agence de pub Rosapark pour Free Now. On a sorti lourdement la grosse caisse « engagée », éculée jusqu’à la nausée : des copines quadras rangées rigolent et font les fofolles : « Libre de sortir fêter son divorce, libre d’y gagner des points de fidélité. » Un homme barbu est assis en robe, jambes écartées à l’avant d’une voiture : « Libre de casser les codes, libre de ne jamais le passer. » Une femme mûre aux cheveux blancs épars en pétard, comme si elle sortait de son lit ou au contraire ne s’y était pas pas posée de la nuit : « Libre de rentrer quand on veut, libre de rentrer avec qui on veut. »

Les revendications datées qui enfoncent des portes déjà ouvertes depuis des lustres (qui, en Occident, n’a pas le droit de divorcer, de s’habiller comme il l’entend ou de décider de sa soirée ?) font un peu boomers encanaillés mais, après tout, c’est bien ciblé, ce sont eux les clients privilégiés. Avec, bien sûr - glaçage obligé sur la pièce montée -, quelques clins d’œil à la diversité. Comment s’acheter un brevet de vertu à peu de frais. Sauf que la diversité, de l’avis de quelques intéressés que j’ai rencontrés, les entreprises de VTC la soignent plus sur le papier glacé que dans la vraie vie.

 

 

 

 

 

Comme le tweete Lizenn Valo, de la revue Limite« la liberté, c’est porter une robe quand on est un homme ou fêter son divorce quand on est une femme, mais c’est avant tout avoir assez de fric pour se payer des VTC sans se poser la question des conditions de travail des chauffeurs ».

Selon une étude Kanter de 2018, les chauffeurs eux-mêmes ne touchent que 36 % du prix d’une course, une fois tout déduit.

Il y a un an, en mars 2020, ils s’étaient mis en grève, « [réclamant] un prix minimum pour une course mais aussi une meilleure relation avec les différentes plates-formes ou une meilleure redistribution du prix payé par le client ». Ils dénonçaient aussi la présence de « faux chauffeurs qui utilisent des cartes de VTC usurpées » (Le Parisien).

Le métier est spécialement prisé par les immigrés fraîchement débarqués, parlant mal la langue et n’ayant d’autre compétence à faire valoir sur le marché du travail que leur aptitude à conduire. L’oligarchie du VTC sait en user.

Ces chauffeurs, qui se sont parfois lourdement endettés pour acheter leur outil de travail, c’est-à-dire une voiture présentable (qui monterait dans une guimbarde ?), s’inquiètent depuis des mois du « verdissement » du parc imposé à marche forcée par Kapten, à l’instar d’Uber - écologie oblige : « À terme, les véhicules qui ne sont pas classés Critair 1 n’auront plus accès à la plate-forme », lisait-on, en septembre dernier, dans Les Échos.

« Pour basculer vers un véhicule moins polluant, Kapten a mis en relation les chauffeurs volontaires avec des agences de location spécialisées […], mais aussi en offrant une prime de bienvenue de 250 € », expliquait, bon prince, le directeur général au Parisien, l’an dernier. Pas sûr que cela suffise, n'est-ce pas ?

Mais comment la gauche sociale pourrait-elle s’en émouvoir, puisque ces entreprises ont fait docilement, via leurs publicités, cette génuflexion devant la gauche sociétale qui couvre tout de son blanc manteau vertueux ?

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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