L’échec du rire

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Peut-on rire de tout ? Réponse : oui. Pour trois raisons : rire est le propre de l’homme ; nous sommes en république ; et le rire, c’est bon pour la planète. Si la mode culturelle est au tragique de Nietzsche et de Cioran et au sérieux démodé des hussards de Péguy, à la ville, la mode est au rire avec son revers : l’indignation. Sauf qu’il ne s’agit pas de rire mais de tout prendre à la légère. Il suffit de voir, à la télé, de grands gars et filles de 50 piges, littéralement morts de rire pour tout, sauf pour les vaches sacrées du racisme, de l’extrémisme et du « faire famille ». Luchini a bien fait d’en avoir profité avec sa lecture des fables de La Fontaine.

De l’humour à l’ironie à la dérision. Du rire rabelaisien au rire grinçant. Du dessin de Voutch à Daumier aux caricatures lourdingues, le rire est censé déjouer la censure et, selon l’adage classique, « corriger les mœurs ». Ce temps n’est plus. À condition de ne pas rire de certaines religions ni des arcs-en-ciel, on peut rire de tout. Si on ne badine pas avec Allah, on peut badiner avec le Dieu catho. Dieu lui-même n’est-il pas un humoriste ? En témoignent les blagues du Christ. Aux noces de Cana, il donne aux convives du saint-amour et non de la piquette. Sur le chemin d’Emmaüs, ressuscité, il fait de l’humour en disant aux deux copains : de quoi parliez-vous ? Certes, l’humour de Dieu n’est pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, c’est le comique d’un Dieu façon « God in Love ». Et dans les spectacles politiques, ce qui est destructeur, c’est la vulgarité avec ses salves de rire. En revanche, dans le domaine sociétal, interdit de rire de l’idée farfelue que deux femmes procréent ensemble. Là, pas touche !

L’humour caresse, l’ironie blesse. Mais une arme qui ne sert pas s’émousse. On a dénoncé les travers de la société par le comique aux mille nuances mais la liste de l’Assemblée nationale demandant que l’on définisse le mot « parents » ne s’allonge guère. Et la loi bioéthique « à la française » (maître Touraine dixit) a été votée. Plus moqués que ceux de Molière, les médecins Folamour imposent leurs folies. Contre le totalitarisme, le rire frondeur, dénonciateur, ne peut rien faire. La police veille telle Argus.

Le rire de Voltaire, souvent facile et haineux, fait mouche. Celui de Molière a mis à mal « la cause » des femmes. L’ironie indépassable des Provinciales a plus fait contre la morale jésuite qu’un traité de mille pages. À notre époque, un rire bête et méchant, coupé de toute culture, a cessé d’être une arme pour devenir un produit de consommation. Devant une élue de mes connaissances, mariée et mère de famille, je m’étonnai, un jour, que le mariage gay débouchant sur la procréation n’ait pas provoqué dans la France entière un rire rabelaisien. Indignation de la dame élue. Redirais-je cela, maintenant ? Rira bien qui rira le dernier ? Le rire est devenu inefficace : une spirale infernale.

Marie-Hélène Verdier
Marie-Hélène Verdier
Agrégée de Lettres Classiques

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