Le roman inédit de l’été : Derrière le mur (12)
Cet été, Boulevard Voltaire vous propose une fiction inédite, jamais publiée auparavant. Embarquez avec Fadi, Sybille, Jean et Tarek dans un pays qui n’existe plus.
Telles étaient les pensées qui lui venaient à l’esprit lorsque Fadi lui demandait s’il était ironique. Il s’était attaché à ce garçon intelligent et taciturne. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il ferait un parfait imam. Avec ses capacités intellectuelles, sa sensibilité et ses connaissances, il pourrait devenir un redoutable prêcheur. Comme son ami Bilal, il ne comprenait pas pourquoi cette tête de mule n’en formulait pas la demande. Il avait fini par se dire que le garçon était jeune et qu’il manquait encore de confiance en lui. De plus, il ne remarquait pas chez lui de piété particulière, il ne pouvait apercevoir la flamme de la foi danser dans des yeux qui lui paraissaient le plus souvent triste et éteints. Il voulut entamer une discussion à ce sujet mais il était lui-même tellement en proie au doute que cela n’aurait certainement pas l’efficacité souhaitée. Il fit donc un effort pour se taire et rester impassible. Il ne voulait pas le contaminer de ce venin que représentait le doute pour l’âme d’un croyant. Il se contenta d’esquiver le trait.
- Non, je suis sincère, sois indulgent envers un homme arrivé au crépuscule de sa vie qui se permet de contempler l’œuvre pour laquelle il a lutté de toutes ses forces. Vous autres, jeunes gens, vous êtes toujours lestes à interpréter et à juger. Puisse Allah écarter de votre cœur la facilité d’un jugement trop prompt.
- Pardonne-moi à nouveau, Maître, répliqua Fadi qui choisit ses mots avec soins, mais lorsqu’on a comme toi lutté toute sa vie pour une cause, est-il impossible de penser que l’on a pu un jour se tromper ? S’apercevoir que le réel ne sera jamais aussi beau que nos aspirations les plus nobles ?
Arbini marqua un temps de surprise, il eut la désagréable impression d’avoir été compris. Il eut un rapide coup d’œil vers la porte avec la peur de voir leur conversation surprise par une oreille indiscrète. Regrettant de s’être laissé embarquer dans cette discussion, il coupa court.
- Tu ne devrais pas te torturer l’esprit ainsi, Fadi. À présent, je vais aller méditer quelques instants dans la cour, si tu le permets.
Il partit, déçu de sa lâcheté, ne se doutant point que Fadi l’était bien davantage.
Le vieil homme parti, Fadi se retrouva seul. Dédaignant la cour de récréation, il retourna dans sa salle de classe, poussa la porte et se remit à lire.
Après une après-midi qui lui parut interminable, il fut soulagé d’entendre l’appel à la dernière prière. Mettant ses élèves en rang, il les conduisit à la mosquée adossée à l’école et fit sa prière avec eux. Lorsqu’ils sortirent, la masse d’enfants fut parcourue d’un frémissement de joie et de soulagement, le soleil agonisait et ses rayons projetaient une lueur rouge dans la rue et sur les façades des immeubles. Chaque porte laissait échapper des bruits de vaisselle et des exclamations de joie. La rupture du jeûne pouvait commencer.
Chapitre V
- Dispersez-vous, soldats !
La voix claire et impérieuse de Tarek avait couvert l’explosion de la roquette, illuminant le crépuscule d’un champignon jaune. Alors que sa section patrouillait dans l’est du ghetto, un missile avait surgi de la fenêtre d’un immeuble en ruine manquant de peu le pick-up du milieu. S’assurant, d’un bref coup d’œil, que ses occupants étaient indemnes, il se planqua derrière une carcasse de voiture. Ses moudjahidines avaient réagi en une fraction de seconde, rompus à ce genre d’attaque.
Il était temps : des tirs d’armes automatiques se firent entendre. Alors qu’une balle passait à quelques centimètres de ses cheveux, il hurla ses ordres. Une fois de plus, il avait été envoyé avec son groupe en reconnaissance aux abords du ghetto avec, pour mission, de traquer et exterminer tout individu surpris avec une arme.
- Le premier groupe, vous les fixez, Jamal, prends trois hommes et passe par la gauche, les autres avec moi !
Le colosse barbu et massif qui lui servait de second acquiesça du chef et décrocha. Son crâne chauve luisait au soleil alors qu’il bougeait pour rallier sa section.
Attrapant le bras d’Ahmed, Tarek avança sous le tir de couverture. Levant la tête avec précaution, il vit avec satisfaction que Jamal et son groupe avaient entamé le contournement. La stratégie était simple. Un groupe pour fixer l’ennemi et deux pour le prendre en tenaille. Si les assaillants visaient affreusement mal, Tarek savait qu’ils n’étaient jamais à l’abri d’une balle perdue. Le premier moment d’inattention et de relâchement était fatal.
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