Le Covid-19 ou la nouvelle colère des dieux ?

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Jadis, sinon depuis l’aube des temps, l’homme, confronté à la maladie et à sa propagation, a toujours oscillé entre deux attitudes. La première, qu’on qualifiera de rationnelle, aura consisté à trouver la parade thérapeutique, à développer des méthodes d’asepsie ou encore à renforcer l’hygiène et la salubrité publiques. Généralement, cette attitude a été (et demeure) animée par des considérations d’ordre scientifique d’où se trouve exclu tout ce qui ne peut être réfuté scientifiquement, selon une approche poppérienne, et se voit versé dans le domaine du surnaturel ou, plus largement, du sacré.

Telle est la seconde attitude. L’historien Georges Duby la résumait ainsi : « Devant un mal inconnu, la terreur est immense. Le seul recours, c'est le surnaturel » (L’Express, 24 mars 1994). Le grand historien des religions que fut Mircea Eliade allait même beaucoup plus loin : « C’est toujours dans une certaine situation historique que le sacré se manifeste. Les expériences mystiques, même les plus personnelles et les plus transcendantes, subissent l’influence du moment historique » (Traité d’histoire des religions, Payot, 1975).

Qu’est-ce à dire ?

Primo, que la sacralité de l’homme semble se manifester avec éclat ou excès par temps de crise. Avec le virus chinois, l’Histoire se rappelle à notre fragile condition et réitère un enseignement déjà contenu dans les textes antiques, mais se dérobant régulièrement à notre ingrate mémoire : le sens tragique de l’existence. Ce qui a été n’a pas vocation à durer, du moins sous sa forme coutumière. Et ce qui n’est plus n’est pas à l’abri de revenir, parfois sous des aspects monstrueux ou grotesques (la fameuse farce historique de Marx).

Deuzio, le surgissement soudain de l’inconnu, loin que ses forces mystérieuses attirent irrésistiblement les hommes au fond de son grand et sombre abysse, pousse davantage ces derniers vers le sacré. Dès cet instant, l’homme cesse d’être un animal historique pour devenir un animal religieux. Encore convient-il de ne pas se méprendre sur le sens de ce mot qu’un simplisme faussement cartésien nous amènerait à débusquer par trop aisément dans son étymologie : religio serait « ce qui relie » les hommes à/aux (D)dieu(x).

Explorant les profondeurs ultra-historiques de la Rome archaïque, l’incomparable comparateur de mythes que fut Georges Dumézil suggère une sémiologie bien plus fine : « Le mot qui a fini par désigner l’ensemble des rapports de l’homme avec l’invisible, "religiones", "religio", quelle qu’en soit l’étymologie, a d’abord désigné le scrupule : non pas un élan, ni aucune forme d’action, mais un arrêt, l’hésitation inquiète [c’est nous qui soulignons] devant une manifestation qu’il faut avant tout comprendre pour s’y adapter » (La Religion romaine archaïque, Payot, 1974). Ainsi, donc, loin de se précipiter vers des fétiches, amulettes ou autres statuettes sacrées, l’homme commence d’abord par adopter une posture de prudence où s’entremêlent, jusqu’à la plus ineffable confusion mentale, peur panique, angoisse existentielle et colère infantile.

Tertio, et enfin, du plus grand chaos ou désordre collapsologique sort toujours un nouvel ordre social, lequel subira, à la longue, les affres précitées de l’amnésie humaine, de l’eudémonisme euphorique et… de l’oubli des dieux.

Sans doute est-ce de cette béance qui nous sépare chaque fois davantage de la transcendance que provient notre plus incurable mal ontologique et métaphysique : notre détachement du sacré allant de pair avec notre obstination profane…

Aristide Leucate
Aristide Leucate
Docteur en droit, journaliste et essayiste

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