La stratégie russe dans le Haut-Karabakh
Les armes se sont provisoirement tues dans le Haut-Karabakh. Après une offensive éclair déclenchée par l’Azerbaïdjan, le 27 septembre, un cessez-le-feu a été signé, le 9 novembre, sous l’égide de la Russie. C’est une lourde défaite pour l’Arménie et le Haut-Karabagh, cette région enclavée en Azerbaïdjan qui avait proclamé son indépendance en 1991. Elle perd une part importante de son territoire, dont la ville emblématique de Chouchi, qui abrite un patrimoine chrétien important. Que va devenir ce territoire ? À cela s’ajoute la perte des zones tampons, historiquement azéries, qui entouraient une partie du Haut-Karabagh, en particulier la zone située entre cette république et l’Arménie elle-même.
Les raisons de cette rapide défaite, malgré une résistance héroïque, sont bien connues : supériorité dans les airs grâce à l’aviation turque et, surtout, aux drones d’origines turque et israélienne, renfort de plusieurs milliers d’islamistes syriens envoyés par Erdoğan et supériorité numérique de l’infanterie azérie dont le pays est soixante-dix fois plus peuplé que le Haut-Karabagh.
La Russie n’est pas intervenue jusqu’au 9 novembre, où elle a ordonné un cessez-le-feu. Plusieurs tentatives avaient été faites auparavant, mais rejetées par Aliev, le sympathique président azéri qui a traité les Arméniens de « chiens ». Jusqu’à cette date et la prise de Chouchi, Aliev considérait que son effort de guerre n’était pas encore rentabilisé. Après cette date, c’est tout le Haut-Karabagh qui risquait de tomber. C’est donc à un moment stratégique que Moscou a cessé de suggérer pour ordonner. Et Aliev a obtempéré.
L’intervention de la Russie fut salutaire mais beaucoup se sont étonnés et ont regretté qu’elle fût si tardive. En réalité, il faut bien comprendre que Moscou n’a jamais considéré que ce conflit relevait d’une guerre de religion, et qu’en tant que nation chrétienne, la Russie devait défendre ses frères arméniens.
Le prisme est autre : l’Arménie et l’Azerbaïdjan appartiennent à l’espace post-soviétique et relèvent de son influence amicale. À cet égard, il n’est pas question, pour la Russie, d’attaquer l’Azerbaïdjan avec qui elle entretient des relations cordiales, qu'elle tient à conserver. Moscou a eu, comme toujours, une attitude prudente et pragmatique : elle n’a pas laissé tomber son allié arménien car le cessez-le-feu du 9 novembre a empêché la chute inéluctable du Haut-Karabagh, mais elle ne s’est pas coupée de son partenaire azéri. Une attitude plus brutale vis-à-vis de Bakou aurait définitivement jeté Aliev dans les bras d'Erdoğan, ce qui est trop dangereux pour la Russie.
Le vrai problème, c’est la Turquie. La Transcaucasie, cet ensemble qui englobe l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, est la porte du Caucase. Et il y a, le long de la mer Caspienne, en face de Bakou, le Turkménistan et le Kazakhstan, puis, un peu plus à l’est, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. On estime ainsi qu’il y a là plus de 100 millions de musulmans sunnites de langue turkmène. C’est cela, l’objectif d'Erdoğan : étendre son influence sur cette zone.
Moscou surveille tout cela de très près, bien sûr, et fait preuve d’une grande prudence pour ne pas risquer un embrasement qui déstabiliserait ses marches du Sud.
C’est bien triste pour nos amis arméniens, mais ce sont les enjeux implacables de la géopolitique.
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