Les Anglais avaient leur reine, nous n’avons que Marianne

reine Elizabeth
Cet article vous avait peut-être échappé. Nous vous proposons de le lire ou de le relire.
Cet article a été publié le 09/09/2022.

En septembre dernier, les Anglais pleuraient la disparition de leur reine. Une perte considérable, un atout de poids pour nos voisins britanniques à côté duquel notre Marianne ne fait décidément pas le poids.

En 1066, la Normandie devenue une partie de la France a offert à l'Angleterre une famille royale. Un sacré cadeau et même un cadeau sacré, pieusement conservé par nos voisins d’outre-Manche jusqu’à aujourd’hui. Ils ont bien fait : la reine et, derrière la reine, la monarchie représentent pour eux un atout décisif, jusqu’à aujourd’hui.

Le décès de cette reine si aimée des Britanniques a pour les Français un goût particulier. Notre instinct révolutionnaire nous dicte un regard ironique, voire méprisant, envers ces institutions que nous avons balayées voilà si longtemps dans le sang. Le Français cache mal un sentiment de supériorité et de modernité, plus ou moins conscient, face aux carrosses dorés, aux palais et aux couronnes portées si élégamment par la reine dans les grandes occasions. Mais au fond, notre peuple qui fut si souvent concurrent et opposé à la Grande-Bretagne dans l’Histoire, pas toujours à son avantage, regarde le deuil de son voisin avec envie.

Nous voyons bien que la reine et sa famille sont un atout considérable pour le Royaume-Uni et son peuple. Parce qu’elle respire. Parce que c’est une femme. Une vraie femme qui fut une enfant, une jeune fille, une amante, une mère, une grand-mère. Qui fut tour à tour heureuse, éprouvée, qui a fait face à l’Histoire, la grande et la petite, celle de sa famille, avec plus ou moins de succès du reste. Elle n’a pas évité l’invasion migratoire de son pays ni la décadence des mœurs, ni celle de sa propre famille dont les divorces et les mariages ont fait couler de l’encre, pas toujours sympathique. Mais elle a vécu. Et cette vie, elle l’a consacrée totalement au prestige de son pays.

Qui a consacré sa vie au prestige de la France ? Le Français sent bien que sa figure tutélaire à lui ne fait pas le poids. Surgie des flots de sang de la Révolution française, furieuse et dépoitraillée, coiffée de son bonnet phrygien, Marianne est bien la figure opposée du monarque. Marianne s'affiche, comme la reine, sur les pièces de monnaie mais ne s’est jamais encombrée des fastes des châteaux, des carrosses et des couronnes. Marianne ne suscite pas en France l’amour que les Anglais éprouvent pour leur reine, personnalité proche et lointaine à la fois. Notre presse de personnalités (Voici, Gala, Point de vue...) raconte les frasques de la couronne d’Angleterre, pas celles de notre Marianne ni celle des Présidents français, ou si peu. Parce que Marianne n’est pas une femme. Parce que Marianne ne fut pas une enfant, une jeune fille, une amante et une grand-mère. Parce que Marianne ne respire pas, ne rit pas, ne pleure pas et ne porte, en guise de chapeau ridicule, que le bonnet phrygien, bien plus démodé que les couvre-chefs de la reine.

Pour les Anglais, le pays, leur pays, s’incarne dans une famille et un chef de famille. Ils se réjouissent des naissances et des mariages, déplorent les décès et les scandales. Ils suivent cette famille qui évolue et passe les générations. Le pays des Français s’incarne dans une idée, essentiellement destructrice : Marianne est d’abord une figure de la Révolution, une égérie de la guerre civile. Un symbole de la lutte contre un ordre qu’il faut renverser. On le sait, une révolution commence mais ne finit jamais, même lorsqu’elle a dévoré ses propres enfants.

La monarchie incarne au contraire l’unité du Royaume-Uni. Élisabeth II, c’est une vie au service de cette unité, au service d’un ordre qu’il faut maintenir. Pour le prestige de la monarchie, lui-même gage du prestige du royaume et de ses habitants. L’une incarne la pérennité tranquille venue du passé jusqu’au temps présent, l’autre la rupture jamais assouvie. L’une a l’éternité généalogique devant elle, l’autre vit dans les flammes et les coups de feu. Dans ce bras de fer, la liberté censément incarnée par Marianne est hors sujet. Les Anglais sont-ils moins libres que nous ? Quant au mythe dangereux de l’égalité, il montre ses limites tant la reine, figure inégale s’il en est, est populaire.

Enfin, Marianne, symbole de division, ne réunit personne, ni en France, ni en dehors. La reine réunit autour de sa personne et de son statut de monarque bienveillante les nations du Royaume-Uni (Écosse, pays de Galles et Irlande du nord), qui se seraient peut-être déjà séparés de l’Angleterre sans Buckingham. Elle réunit, au-delà, les pays du Commonwealth. Lors des visites d'État, les habitants de Nouvelle-Zélande, d’Australie ou du Canada ne voient pas débarquer des politiciens chargés de polémiques et d’intérêts mais William, Kate et leurs enfants.

Dépassée, la monarchie britannique et ses fastes ? À une époque où l’image est si importante, c’est au contraire un atout maître. L’enterrement de la reine et l’avènement de Charles III vont le montrer des semaines durant, à longueur d’émissions de télévision et à coups de milliers de unes de presse dans le monde entier.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/08/2023 à 11:16.
Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

32 commentaires

  1. Ce ne sont pas quelques miles nautiques qui séparent nos deux pays mais plus de deux siècles de retard en ce qui concerne notre pays. La révolution fut, en effet, un retour à la barbarie si bien dénoncé par Edmund Burke, lorsqu’il écrivait dans Réflexions sur la Révolution en France : L’âge de la chevalerie s’en est allé ; celui des sophistes, des économistes et des calculateurs a pris sa place. Nous avons à nouveau une triste image des valeurs de la république laquelle, une fois de plus, fait de la France le paria de l’Europe entière.

  2. Bravo, monsieur Baudriller. Je ne partage pas toujours vos papiers dans B.V., mais là vous faites très fort et malheureusement pour nous, tout est dit et bien dit.

  3. Et maintenant les Britanniques, les Écossais, les Irlandais du Nord, les Australiens, les Canadiens, etc, 12 pays au total, pas seulement les anglais, ont un Roi, Charles III, et déjà deux autres en « culture », et pas seulement pour inaugurer les Chrysanthèmes.

  4. De quoi avoir envie de citer cette saillie du duc de Brissac (un peu anglophile il est vrai…) dans ses mémoires concernant la vision que les Anglais ont des Français : « amusant, non ? La France est républicaine, mais chaque fois que nous rencontrons un Français à peu près décent…il est monarchiste ! »

  5. Quand notre président s’applique à ne dire le mot France pour le remplacer par république ou valeurs de la république, que voulez vous que Marianne représente et je suis bien sur que parmi la génération montante peu de ces jeunes élèves savent ce qui c’est, évidemment je ne parle pas de certains endroits où on jette à la poubelle (je n’ai pas exactement le fond de ma pensée) la France et la république

  6. Cette monarchie anglaise si respectée …alors qu’en son nom il y eut tant de répressions, de brutalités et d’injustice contre les couches populaires : les Irlandais, les Écossais s’en souviennent encore …Mariane n’a pas à rougir de honte …

  7. Il faut voir, dans quelles conditions l’enfantement de Marianne s’est déroulé. Il n’y a pas de quoi en être fiers. Nos politiques et médias aux « ordres », nous gavent à longueur de journée de république, républicain, démocratie comme si nous avions inventé cela, ors, il se trouve que d’autres pays pas moins démocratiques que la France, n’ont pas fait un bain de sang, pour arriver avant nous, à un résultat comparable si non meilleur.

  8. Nous n’avons ni reine ni roi mais ceux au pouvoir vivent comme tels et nous coute plus cher que la monarchie anglaise .

  9. Il est où le prestige de son pays gangrené par l’immigration sauvage, la désindustrialisation, la perte d’influence internationale ?
    Stop au baratin folklorique !

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