Pour Julien, surveillant pénitentiaire, le mantra « il faut construire des prisons » n'est pas convaincant. Tant que les prisons ressembleront à celles que nous avons déjà, elles n'auront aucun effet dissuasif et ne réduiront pas la délinquance. Explications.

 

Vous avez été surveillant pénitentiaire pendant 27 ans aux quatre coins de la France et, selon vous, ce n'est pas en construisant d'autres prisons similaires en tous points à celles que nous avons déjà que nous réglerons nos problèmes de délinquance. Qu'entendez-vous par là ?

Je tiens, avant toute chose, à préciser que je ne suis absolument pas pour un retour à ces prisons qui, durant des années, ont été d’une totale inhumanité. Fort heureusement, les choses ont bien changé… trop, peut-être !

Il convient, tout d’abord, de définir le sens du mot prison.

Si les maisons d’arrêt représentent sans doute l’un des moments les plus difficiles de l’incarcération (promiscuité, surencombrement des cellules, enfermement…), elles ne constituent qu’une étape à la peine carcérale. C’est cette transition que choisissent de mettre en scène les médias et ce n’est pas un hasard. La prison doit continuer à faire peur. L’Audimat™ n’en sera que meilleur. Pourtant, une fois la peine prononcée, les détenus sont transférés en CD (centre de détention) ou en centrales et, pour répondre correctement à votre question, c’est sur cette partie de la détention qu’il nous faut nous pencher, en zoomant également sur une certaine catégorie de détenus : les plus jeunes.

Cellule individuelle avec douche, des cellules dont les détenus possèdent la clé durant la journée. Télévision câblée pour environ 15 euros par mois, quand une personne hospitalisée et gravement malade doit débourser 6 euros par jour, soit 180 euros par mois. La plupart des détenus aménagent leurs cellules comme un véritable petit studio : frigo et plaque chauffante, chaîne hi-fi reliée à l’ordinateur qui permettra de regarder en 5.1 les derniers DVD sortis, le tout entre deux parties endiablés de PS4. Salle de sport (escalade, volley-ball, hand-ball, musculation…), terrain de tennis, salle de théâtre et de concert avec piano, batteries, guitares, synthé… mis à disposition. Les personnes incarcérées peuvent également commander à l’extérieur tout ce qu’elles désirent manger, victuailles qu’elles récupèrent une fois par semaine à l’épicerie de la prison - « les cantines », dans le jargon pénitentiaire. Il existe également des sorties organisées pour aider à la « réinsertion ». Pour les plus classiques, il s’agit de randonnées pédestres ou VTT, mais il arrive que l’administration organise des sorties en voilier ou à cheval…

Entendons-nous bien, la prison est une peine d’enfermement et la liberté n’a pas de prix. Pour beaucoup, le simple fait d’être privé de ce bien précieux est une véritable brûlure, mais il y a aussi… les autres. Les multirécidivistes, les mêmes individus qui pourrissent la vie des honnêtes citoyens, des « jeunes », comme les nomment avec une complaisante empathie les médias. Des jeunes qui arrivent en terrain conquis dans les prisons qu’ils ne connaissent que trop bien. J’en veux pour preuve les vidéos qui circulent sur la Toile où des délinquants se filment à l’aide de téléphones portables rentrés illégalement et chantent en conquérants, devant un véritable banquet, que la prison est « à eux ».

Aussi fou que cela puisse paraître, c’est un peu vrai aujourd’hui. Depuis la loi de 2016, les fouilles systématiques n’étant plus autorisées, les téléphones portables sont légion et s’il existe des détecteurs de métaux, ces derniers sont inefficaces face aux explosifs (plastique) ou couteaux en céramique.

Comprenez bien que la prison est une ville dans la ville, un miroir grossissant de tout ce qu’il se trame dans bon nombre de quartiers en France. L’autorité n’est qu’un leurre, une utopie à laquelle surveillants comme détenus font semblant de croire. De nos jours, 4.500 surveillants sont agressés par an. Bien évidemment, tout cela est passé sous silence et les surveillants travaillent dans des conditions tellement stressantes qu’aujourd’hui, malgré des publicités racoleuses diffusées sur les grandes chaînes de télé, l’administration peine à trouver du personnel et recrute à 2/20 de moyenne. Pour clore ce sujet, rendez-vous compte que lorsqu’un détenu commet une agression à l’encontre d’un personnel, le surveillant est simplement défendu par sa hiérarchie quand le système en place paie généreusement au délinquant un avocat pour plaider sa cause.

Pas de règles, les détenus dorment jusqu’à midi, l’école n’est pas obligatoire… Vous comprenez pourquoi construire de nouvelles prisons comme celles-ci ne freinera en rien la délinquance. Il faudrait commencer par séparer les primaires ou les accidents de parcours des multirécidivistes et adapter la discipline en fonction de ces critères. Nous y viendrons sans doute un jour… Peut-être sera-t-il trop tard et, malheureusement, plusieurs générations auront été sacrifiées.

De l'avis même de détenus, la prison d'aujourd'hui n'évite pas la récidive...

C’est un constat affligeant, mais oui. Non seulement la prison ne fait plus peur mais, pire, elle est devenue un faire-valoir. « Je préférerais des peines dures et beaucoup moins longues que de passer six ans à jouer à la PS4 toute la journée avec les potes de quartier que je retrouve ici », m’a dit un jour un jeune détenu, alors qu’un autre ayant été incarcéré au Brésil et au Suriname ajoutait : « Si je dois refaire une connerie, ce sera en France mais plus jamais là-bas »… Devinez pourquoi !

Peut-être serait-il bon de revoir effectivement notre système carcéral. Ces jeunes n’ont jamais eu de repères et l’ultime rempart supposé leur donner à réfléchir ne tient plus debout. À grand renfort de théories élitistes, de tolérance et de bienveillance mielleuse, notre société termine de détruire ces délinquants, et j’en suis profondément affligé.

J’entends d’ici les bonnes âmes, bien-pensantes, bien assises, bien en place, hurler que mes propos sont choquants. Où étaient ces donneurs de leçons lorsque les appelés du contingent rampaient dans la boue jusqu’à 2 heures du matin avant de regagner leur lit pour trois heures de sommeil. On appelait cela le service militaire. Les jeunes appelés n’étaient en rien délinquants et tout le monde trouvait cela normal. Comme quoi l’opinion publique est bien malléable. Peut-être que des peines écourtées mais militarisées seraient une solution…

L'engouement médiatique pour Rédoine Faïd vous a spécialement scandalisé. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Ce qui me scandalise, c’est de voir que la délinquance fascine certains médias au point de la banaliser, voire même d’en faire l’apologie. Je me souviens avoir vu récemment un reportage où une journaliste filmait une ancienne prison réaménagée en faculté de droit. Durant la visite, elle avait signalé avec un naturel déconcertant que, dans la bibliothèque, les barreaux avaient été conservés aux fenêtres pour « rendre hommage aux détenus »… Nous en sommes là.

Après avoir assassiné une jeune policière de 25 ans, Rédoine Faïd, (entre autres) a été invité sur les plateaux télé pour parler du livre qu’il venait d’écrire (ou que l’on avait rédigé pour lui). On oublie trop souvent que, derrière chaque coupable, il y a des victimes. Ne trouvez-vous pas indécent que son roman bénéficie d’une telle publicité ? En aurait-il été de même si un honnête policier ou un surveillant avait rédigé un ouvrage ?

Propos recueillis par Gabrielle Cluzel

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19 avril 2021 à 22:39

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