José Maria Ballester : « Il ne s’agit pas de défendre le franquisme, mais il faut aussi savoir laisser les morts en paix. »
José Maria Ballester commente la décision de la Cour suprême espagnole d'autoriser l'exhumation de la dépouille du général Franco et fait le lien avec la loi sur la mémoire historique. « Lénine et Tito sont toujours dans leurs mausolées ».
C’est peut-être la fin d’une saga politique, puisque la Cour suprême a autorisé l’exhumation du corps de Franco. Comment la nouvelle a-t-elle été accueillie en Espagne et pourquoi tant de rebondissements ?
La décision a été rendue publique hier, mais on ne connaît pas encore tous les détails, les motivations de la Cour et surtout les modalités d’application. Les avocats de la famille Franco disposent encore de plusieurs cartes. Pour eux, l’affaire n’est pas finie.
Selon moi, la raison pour laquelle nous en sommes arrivés-là relève surtout d’une volonté de revanche historique de la gauche. Lors de la transition espagnole, la droite et la gauche avaient fait la paix. Une loi d’amnistie a été votée en 1977. On s’était mis d’accord pour laisser la famille Franco tranquille à condition qu’elle se tienne à carreau. Il est vrai que ça n’a pas toujours été le cas, mais, même s’il ne s’agit pas de défendre le franquisme, il faut aussi savoir laisser les morts en paix. Que 40 ans après, on en soit à exhumer le cadavre de Franco comme mesure de revanche politique, tout cela est pitoyable. C’est l’œuvre de monsieur Zapatero, poursuivie par monsieur Sanchez.
Comme vous le savez, il y a des élections le 10 novembre. C’était une promesse de monsieur Sanchez lorsqu’il a été investi Premier ministre après la motion de censure en juin 2018. La Cour suprême n’a pas voulu lui faire trop de peine, mais franchement je crois qu’il faut laisser les morts en paix.
C’est aussi en lien avec la loi mémoire historique. C’est une loi revancharde dont le but ultime est de faire porter une sorte de sentiment de honte à toute l’Espagne de droite. Si quelqu’un veut savoir où est le cadavre de son grand-père, de son frère aîné ou de son oncle, c’est parfaitement possible. Pourquoi une loi qui vise surtout à questionner toute l’Espagne de droite ? Ce n’est pas très joli et ça ne sert à rien.
Pablo Iglesias de Podemos disait que cette exhumation représentait un pas important dans la réparation d’une honte portée durant 40 ans. Quant au leader de Ciudadanos, Albert Rivera, il dit que Sanchez joue avec des os depuis un an pour diviser les rouges et les bleus alors que cela importe à peu d’Espagnols. Vous êtes d’accord avec lui, finalement...
Je crois que l’argument d’Albert Rivera est, en effet, tout à fait juste et défendable dans ce cas-là. Je rappelle que Tito en Yougoslavie, qui était un dictateur bien pire que Franco, a son mausolée à Belgrade et il porte, en plus, un nom très romantique, le Jardin des fleurs. Personne, même au cours des guerres balkaniques, n’a cherché à le faire déplacer. L’Histoire est tragique et il faut comprendre les victimes du franquisme, mais il faut aussi l’assumer.
Comment expliquer le silence de la famille royale alors que le père du roi actuel avait en quelque sorte succédé à Franco ?
Franco avait désigné Juan Carlos comme son successeur. Il avait émis le souhait d’être enterré à Valle de los Caídos. Mais c’est le roi, par une de ses premières décisions, qui avait donné l’ordre de transférer sa dépouille là-bas. La volonté politique du gouvernement Sanchez et de toute la gauche espagnole est de remettre en cause une des toutes premières décisions du roi qui a instauré la démocratie en Espagne. C’est vraiment une délégitimation majeure ! Pour le roi Juan Carlos, qui ne règne plus mais qui est toujours en vie, c’est une véritable gifle. Il ne va cependant pas réagir.
Le roi actuel avait sept ans lorsque Franco est mort. Il l’a connu. Il y a même une photo de lui en train de serrer la main à Franco lorsqu’il était enfant. Mais il n’a pas à se prononcer sur une décision purement politique comme celle-là. Pour autant, à mon avis, il ne doit pas être très content. Le roi Felipe VI et ses sœurs avaient un moment gardé des liens d’amitié avec les petits-fils de Franco. Je ne sais pas s’ils se côtoient encore aujourd’hui, mais s’ils venaient à se retrouver, je pense que l’ambiance ne sera pas très gaie.
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