Jean Picollec, l’un des derniers esprits libres de l’édition, nous a quittés

JEAN PICOLLEC

Jean Picollec est mort, un triste 27 avril. Il avait 84 ans. C’est l’un des derniers éditeurs libres qui s’en va. À croire que la République des Lettres peut aussi prendre parfois des airs de monarchie ; car si quartiers de noblesse il y eut, cet homme fut indubitablement prince, sa longue vie durant.

Jean Picollec, c’est bien sûr son ami Alain Lefebvre, ancien patron de presse, qui résume au mieux sa foutraque celtitude : « Il est typiquement breton. Il incarne intégralement toutes les qualités et quelques-uns des travers de son peuple : créativité, imagination, courage pour le meilleur ; idéalisme sans bornes, confusion entre l’essentiel et l’accessoire et désorganisation méthodique pour le pire. Le tout couronné par une gentillesse extrême, le souci constant de rendre service sans la moindre arrière-pensée de réciprocité ou de contrepartie, et une telle indifférence absolue au qu’en-dira-t-on, qu’il ne niera ni ne reniera la moindre de ses convictions ou de ses amitiés. Il est un cas d’école que tous ceux qui prétendent que la révélation de leurs idées a ruiné leur carrière feraient bien de méditer. »

À propos de convictions, littéraires ou politiques, on rappellera que le défunt n’a jamais caché les siennes. En plein Mai 68, il fut de ceux, très rares alors, à s’opposer à la furie gauchiste ambiante, n’hésitant pas à siéger au bureau politique du mouvement Ordre nouveau, successeur d’Occident, et, plus tard, aux origines de la fondation du Front national. Ce fut son seul engagement significatif et jamais renié. La classe, même si nombre de ses amis s’interrogent encore sur la pertinence d’un Jean Picollec participant à un Ordre nouveau, alors que lui, dans la vie quotidienne, se signalait principalement par un désordre à l’ancienne.

Jeune, Jean Picollec eut Lionel Jospin comme colocataire dans la cité universitaire d’Antony. Allaient-ils demeurer amis pour autant ? Philippe Randa, éditeur d’un livre en forme d’hommage, Jean Picollec, l’atypique, publié quelques mois avant son décès, nous dit que non : « Lionel Jospin a surpris Jean Picollec en train de pisser dans son lavabo. Avec un homme normal, ça peut créer des liens, mais avec un puritain, trotskiste et protestant, comme le futur Premier ministre de Jacques Chirac, pas forcément ! » Plus tard, Jean Picollec multiplie les complicités amicales les plus diverses, du très droitier auteur de polars ADG au plus que maoïste écrivain Michel Le Bris. Devenu éditeur dans le même temps, il s’acoquine avec Alain Moreau, avec lequel ils publient des essais ayant fait date alors, et toujours tenus pour ouvrages de référence aujourd’hui, tel B comme… barbouzes ou M comme… milieu. Soit des enquêtes devenues mythiques pour avoir fait trembler la France pompidolo-giscardienne d’alors.

Puis, Jean Picollec reprend les destinées de La Table ronde, la maison d’édition des hussards, avant de fonder la sienne. Parfois, ces ouvrages peinent à trouver le chemin des libraires. Soit parce que notre funambule en a oublié jusqu’à l’existence, soit tout simplement parce qu’il est en train d’en peaufiner les manuscrits. Mais, à chaque fois, le même désir d’excellence est au rendez-vous. Et le succès parfois, fût-ce par inadvertance.

Ainsi son heure de gloire demeure-t-elle la biographie d’un certain Ben Laden, alors parfait inconnu, hormis pour les lecteurs de SAS, dont la publication est prévue à la mi-septembre 2001. Le succès devient international, non point en raison de son flair, mais tout bêtement du hasard. Les mauvaises langues diront ensuite que tout cela était raccord, l’état de son bureau n’ayant que peu à envier à l’état de délabrement des Twin Towers. La blague avait le don de faire rigoler Jean Picollec.

Rire de soi, à quelques jours de la mort ? La marque des seigneurs. Jean Picollec en était un.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Vue l’inflation de la production littéraire, notre homme a du rencontrer nombre de critiques commentant sans vergogne des ouvrages qu’ils n’avaient pas même lus. Peut-être y a-t-il cédé à ce penchant du fait de sa profession? Ce qui tout de même permet de se fendre d’un commentaire sur quelqu’un dont on ignorait jusqu’ à l’existence.

  2. La soi-disant droite a également son carnet mondain. Apprenons à distinguer la fausse de la bonne monnaie. Les mots ne sont pas les choses pas plus la carte que le territoire. Baste des fausses valeurs et de ces intellectuels mi chèvre mi chou, ceux qui égarent dans les si étroites venelles du grand labyrinthe où il ne fait pas bon croiser le Minotaure.

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